Prise en charge du cancer du foie : intérêts et limites de la chirurgie dans un contexte de révolution thérapeutique en oncologie à l'ère de l'évaluation de la qualité de vie post-thérapeutique.

Les progrès récents en destructions locales, chimiothérapies, thérapies ciblées, immunothérapies, chimioembolisations, radiothérapies stéréotaxiques par voies externes ou endovasculaires… impliquent un repositionnement du chirurgien dans ses choix tactiques au sein d’une équipe pluridisciplinaire. Il faut savoir où « placer le curseur » en tenant compte de la qualité de vie des patients quand la quantité de vie est souvent la même avec différentes méthodes. Dans un monde médical en constante mutation, il est primordial de saisir l’opportunité de se former dans des centres experts via le Développement Professionnel Continu (DPC).
Pr Eric VIBERT – Professeur de Chirurgie Digestive – Chirurgie du foie et des voies biliaires - Centre Hépato-Biliaire – INSERM U1193* - Hôpital Paul Brousse à Villejuif.

INVIVOX : Quelles sont les avancées dans la prise en charge des cancers du foie ?

Pr Eric VIBERT : Nous savons aujourd’hui adapter le type de chirurgie (chirurgie ouverte versus laparoscopie, chirurgie majeure versus chirurgie limitée) à l’agressivité tumorale dans la prise en charge thérapeutique. Pour un même type tumoral, que ce soit un carcinome hépatocellulaire ou une métastase hépatique, la tumeur est plus ou moins agressive et notre objectif est de caractériser cette agressivité par des examens préopératoires pour définir la stratégie de traitement afin de préserver au mieux la qualité de vie. Lors de cette formation, nous allons évaluer les bénéfices/risques des traitements au regard de nouveaux éléments décisionnels et plus particulièrement la qualité de vie.

"Les progrès thérapeutiques récents nous permettent désormais d’intégrer dans nos décisions des critères de qualité de vie qui vont au-delà de la simple survie globale."

INVIVOX : Quelles procédures/techniques allez-vous présenter aux participants ?

Pr E. VIBERT : Nous pouvons aborder d’une façon ou d’une autre tous les types de chirurgies via le programme opératoire (chirurgie en live) et des dizaines de vidéos. Ceci nous permet de proposer un programme sur-mesure en fonction du niveau et de l’attente des participants qui voudront voir des chirurgies simples ou très complexes. Nous offrons un programme d’enseignement « à la carte ». Nous le définissons en discutant préalablement avec chaque candidat. Une fois inscrit à cette formation DPC, nous allons établir un contact avec le chirurgien pour déterminer ses besoins en formation. Il est prévisible que nous montrions des procédures d’hépatectomie droite par laparotomie ou cœlioscopie, lobectomie gauche par cœlioscopie, segmentectomie anatomique…

INVIVOX : Quelles sont les contre-indications à la chirurgie ?

Pr E. VIBERT : Ce sont les bonnes indications aux traitements alternatifs ! C’est souvent une réserve fonctionnelle hépatique insuffisante. C’est en réalité fonction de la balance faisabilité et utilité : est-ce que le malade est capable de supporter la chirurgie ? Quel est l’intérêt de cette chirurgie ? Quel est l’intérêt oncologique de cette opération ? Est-ce raisonnable d’intervenir auprès d’un malade qui va récidiver dans les 15 jours ? Non. Nous allons beaucoup échanger sur les limites de la faisabilité technique et de l’intérêt oncologique. La chirurgie n’est donc pas le seul traitement curatif du cancer du foie mais un des traitements du cancer du foie. Tout doit être discuté car nous disposons de plus en plus de traitements innovants. Dans l’état actuel de la dynamique du traitement du cancer, comme l’immunothérapie et les traitements combinés par exemple, c'est aujourd'hui très difficile de donner des résultats de survie à 10 ans voir même à 5 ans car ce sont ceux des traitements d'hier… Le présent doit s'imprégner d'un futur qui arrive vite mais pas du passé…

 

INVIVOX : Quelles sont les perspectives : avancées technologiques, meilleur diagnostic ?

Pr E. VIBERT : Les perspectives dans le domaine chirurgical, si on veut améliorer nos résultats, reposent sur un changement dans notre rapport à l’erreur. C’est un travail de longue haleine auquel je me consacre en mettant en place une Chaire d’innovation autour du Bloc Opératoire Augmenté dans une collaboration avec l'APHP et l'Institut Mines Télécoms. Dans cette transformation du rapport à l’erreur, nous développons des outils de captations de données per-opératoires proches de la « boîte noire » en aviation mais aussi des innovations dans le domaine de la réalité virtuelle et augmentée et de l'intelligence augmentée dans l'analyse automatique d'images et de la compréhension du langage. Nous développons, par exemple, des bandeaux de têtes avec caméras asservies au regard, pour la chirurgie ouverte avec, outre la "boîte noire" la perspective d’évoluer vers de la téléexpertise et de la téléchirurgie.

Mon but est de former mais aussi de créer des liens entre la ville et l’hôpital pour que les chirurgiens qui viennent à Paul Brousse puissent s’appuyer sur un centre de référence en cas de difficultés. C’est une opportunité que nous offre aussi le DPC au-delà des considérations de la formation continue.

 

INVIVOX : En quoi la prise en charge des patients s’est-elle améliorée ces dernières années ?

Pr E. VIBERT : Grâce à une meilleure utilisation des traitements non chirurgicaux et des techniques opératoires. Par exemple, nous ne devons pas faire de traitement mini-invasif à mauvais escient. Il ne faut jamais perdre de vue l’état général du malade et l’agressivité de la maladie. La décision thérapeutique est devenue multimodale et évolutive dans le temps. La prise en charge n’est finalement pas à un instant t, elle intègre ce qui s’est passé avant la prise en charge et après, en considérant l’évolution de la maladie. Nous devons en permanence être capables de réévaluer la situation dans un objectif curatif.

 

INVIVOX : Quel est le pourcentage de succès, échecs et complications ?

Pr E. VIBERT : La mortalité de la chirurgie du foie à 90 jours est de 5 %, toutes causes confondues. Aujourd’hui, le nombre de personnes guéries par de la chirurgie du carcinome hépatocellulaire est plus difficile à évaluer. Si je donne des chiffres à 10 ans, la survie est de 22%. Compte tenu des progrès récents, notamment en immunothérapie, ces chiffres n’auront bientôt plus aucune valeur, d’autant qu’ils ont peut-être une signification à l’échelle d’un groupe mais pas à celle d’un malade.

 

INVIVOX : Quels bénéfices vont tirer les participants de cette formation DPC ?

Pr E. VIBERT : Établir un contact et une relation pérenne avec des experts de la chirurgie hépatique. Recevoir une formation « à la carte » en fonction de ce qui intéresse le plus les participants, en balayant la chirurgie hépato de base, jusqu’à de la chirurgie hyper-spécialisée. Connaître parfaitement les pièges anatomiques telle que la mauvaise évaluation de l’anatomie veineuse. Bien appréhender le rôle de l’échographie peropératoire, les différentes méthodes de clampage, la place de la cœlioscopie… Ils seront avec nous au bloc et à la réunion de concertation pluridisciplinaire avec la discussion de cas cliniques. Ils pourront venir avec leurs propres dossiers s’ils le souhaitent. 

INVIVOX : Que vont-ils savoir faire concrètement en rentrant chez eux ?

Pr E. VIBERT : Savoir raisonner devant un patient présentant une tumeur primitive du foie unique et prendre en charge les métastases hépatiques synchrones d’un cancer du colon.

 

INVIVOX : En quoi cette formation DPC est unique en son genre ?

Pr E. VIBERT : C’est un DPC sur-mesure à la fois pratique et théorique.

 

INVIVOX : Invivox, première plate-forme à proposer des journées de formations DPC, va-t-elle selon vous amener plus facilement vos confrères à continuer à se former ?

Pr E. VIBERT : Oui, car Invivox nous permet de gagner en organisation. En terme de formation, c’est quasiment du « one to one », avec un programme sur-mesure et des objectifs qui doivent être tenus. Au sein de l’APHP, nous n’avons pas vocation à promouvoir ce type de formation à grande échelle. Étant moi-même très attaché à l’hôpital public, il faut qu’autour des structures publiques, il y ait des plates-formes comme Invivox qui permettent à l’hôpital de travailler plus et mieux. Il y a une agilité dans les partenariats public-privé très intéressante pour les grosses structures publiques. Ça a été le cas avec Doctolib, par exemple, qui a franchement facilité la prise de rendez-vous à l'APHP depuis sa mise en place.

 

INVIVOX : Que pensez-vous de ce format unique de formation DPC proposé par Invivox ?  

Pr E. VIBERT : Original et remettant le DPC au centre du CHU qui est le lieu légitime pour l’enseignement. Cette offre de formation devrait contribuer à retisser des liens entre la ville et l’hôpital, d’autant plus avec les perspectives de téléconseil et de téléexpertise ensuite. Tout ceci devrait faciliter la prise en charge des patients.

 

INVIVOX : A quels besoins en formation le DPC répond-il ?

Pr E. VIBERT : Le centre Hépato-Biliaire de l’Hôpital Paul Brousse est un lieu d’expertise reconnu mondialement ce qui certifie le fait que les participants à ce DPC sont légitimes à le suivre. Ce qui n’est pas toujours le cas des DPC.

 

"Il faut revaloriser la qualité du DPC dont le but ne doit pas se limiter au seul fait de baisser sa police d’assurance mais vraiment de toujours se perfectionner."

INVIVOX : Quels sont les enjeux dans le contexte hospitalier que nous connaissons ?

Pr E. VIBERT : Nous allons tendre, de plus en plus, à une évaluation de la qualité des soins via de nouveaux outils et de nouvelles normes dont découleront le remboursement des soins. La qualité des soins ne doit pas être une option. Elle doit être évaluée à la fois par les sociétés savantes et par les malades, ce qui est clairement défini dans le projet de loi « ma santé 2022 ». Nous allons permettre à nos confrères, à travers ce DPC, d’anticiper ces impératifs à venir.

INVIVOX : Quels étaient les freins à la formation continue jusqu’à présent ?

Pr E. VIBERT : La disponibilité des praticiens qui sont surchargés de travail et la non personnalisation de l’enseignement.

Partager