L’intelligence artificielle au chevet des radiologues et des cardiologues

L’intelligence artificielle (IA) fascine. Perçue par les uns comme une opportunité ou par les autres comme une menace, difficile de prédire quel sera son impact exact dans les prochaines décennies. Elle est déjà très présente dans le secteur de la Santé et fait souvent les gros titres : « les radiologues vont-ils disparaître ? ». En réalité, l’intelligence artificielle est sans doute la meilleure alliée des médecins qui croulent sous les responsabilités et la charge de travail. C’est une alternative aux défaillances du système comme par exemple les déserts médicaux et la télémédecine. La télésurveillance médicale à domicile, par exemple, offre de nouveaux moyens pour aider les médecins dans leur démarche diagnostique, thérapeutique et dans leur relation à distance avec leurs patients. Comprendre les enjeux de l’intelligence artificielle (IA), être attentifs à la bonne intégration des nouvelles technologies, à la gestion des data dans un secteur où le secret médical et l’éthique sont de mise, tel est l’objectif de cette formation proposée par le Philips et animée par leur Directeur du Hub Intelligence Artificielle, Nicolas Villain.

INVIVOX : Vous animez au sein de votre centre une formation intitulée « l’IA en Santé » : principes généraux, applications… de la théorie à la pratique, son but est-il d’évangéliser l’IA auprès des acteurs de la Santé ?

N.V. : Le but est surtout de comprendre les limites, de connaître les domaines dans lesquels l’IA s’applique très bien et également que ça n’est pas magique ! Cependant, si ça n’est pas toujours intelligent, c’est toujours très performant. C’est aussi l’occasion de repenser l’approche des problèmes, tirés par les données et ce que nous pouvons obtenir de leur extraction. Dès le début, il faut penser à savoir comment structurer et préparer ces données pour qu’elles soient prêtes à être traitées par les algorithmes. Aujourd’hui, la grosse partie du travail réside dans la préparation des données, l’accès, le nettoyage, la sélection, les annotations etc. Cela demande beaucoup de temps d’experts et engendre un coût important. Par exemple, dans le système d’archivage d’un hôpital, il peut facilement y avoir 10 000 images d’un certain type. Si nous demandons à un radiologue de mesurer le contour des tumeurs sur 10 000 cas à raison d’une dizaine de coupes par cas, ce sera impossible pour lui en termes de temps. Cette formation permet de comprendre comment se construit une application d’intelligence artificielle.

INVIVOX : Quels sont les bénéfices pour les participants ? Qui adressez-vous ?

N.V. : Cette formation s’adresse à tout expert métier du secteur de la Santé curieux de comprendre ce que l’IA peut apporter au quotidien. Elle n’est donc pas réservée aux seuls informaticiens ou biomédicaux. Nous commençons par définir la base de l’intelligence artificielle, les différents types de technique avec une mise en perspective des usages à l’hôpital. Les participants à la fin de cette formation auront compris ce que va apporter l’IA en termes de gain de temps et comment conduire le changement auprès des équipes techniques, administratives et médicales. Ils éviteront les lieux communs comme de dire que tous les médecins vont être remplacés par l’IA. C’est une approche pragmatique pour une meilleure prise en charge et une optimisation du parcours des patients. C’est l’opportunité de voir l’IA sous un angle plus opérationnel afin d’améliorer l’organisation des services grâce à des solutions à court terme et faciles à mettre en place.  

INVIVOX : L’intelligence artificielle semble trouver ses premières applications en radiologie et en cardiologie. L’IA, rêve ou cauchemar des radiologues et cardiologues ?

N.V. : Cette question revient souvent. Je ne pense pas que les radiologues, les cardiologues vont disparaître. Pour l’instant, le but principal est d’automatiser des tâches répétitives. Prenons l’exemple du dépistage en radiologie : il y a beaucoup de clichés à regarder pour le radiologue et avoir une première ou une seconde lecture faite par l’IA permet de réduire significativement l’intervention humaine et le risque d’erreur. Sachant qu’aujourd’hui, nous sommes plutôt dans une situation de pénurie dans de nombreuses spécialités médicales et de manque de moyens face à une population vieillissante. L’IA permet un premier niveau d’analyse et donc un gain de temps précieux pour les médecins, dans le contexte actuel personne ne sera contre. Le « radiologue augmenté » ou le « cardiologue augmenté » n’est autre qu’un médecin qui va s’aider d’outils développés grâce à l’IA. À long terme, le remplacement du radiologue, du cardiologue sera-t-il total ? Difficile de se prononcer à l’instant « T ». Il restera toujours des pendants d’activité qui relèvent de la décision. À l’avenir, nous aurons de plus en plus d’outils qui permettront de faire des mesures automatiquement, de détecter, de remplir une check list etc. Peut-être que le médecin n’aura plus qu’à lire le compte-rendu, se référer à l’image et prendre sa décision. La notion « augmenté », revient à synthétiser l’information et faire gagner du temps, mais la décision elle-même ou l’intention sera difficile à remplacer. C’est l’analogie de la voiture autonome : même si elle arrive à être complètement autonome, ça n’est pas le véhicule qui décide d’aller d’un endroit à un autre. Le pilote reste le médecin. L’IA risque surtout de modifier les rapports entre le médecin et le radiologue. Aujourd’hui, le radiologue interprète pour un médecin qui a demandé un examen avec une question particulière. À terme nous pourrions imaginer que toute cette interprétation va être résumée facilement afin que le médecin prescripteur n’ait plus besoin du radiologue en tant qu’expert en imagerie, mais nous en sommes loin. Est-ce que l’outil sera capable de faire le diagnostic aussi bien que le radiologue ? Ce qui est trompeur dans l’intelligence artificielle, c’est l’intelligence car ce sont des systèmes entraînés pour une tâche particulière. Donc, pour détecter des nodules dans une mammographie, dans une phase de screening avec des données bien calibrés, l’IA pourra-t-elle le faire mieux qu’un humain ? Il y a de nombreuses décisions à prendre dans la prise en charge d’un patient. Avant de tout remplacer, il faut que pour chaque question, nous ayons toutes les données pour entraîner l’intelligence artificielle afin qu’elle soit pertinente. Donc penser que nous pouvons tout faire par ses méthodes d’apprentissage fondées sur de grandes bases de données n’est pas non plus garanti. Automatiser des tâches qui sont automatisables, l’IA le fera très bien en augmentant la qualité des soins mais il restera toujours la question de la décision, de savoir à qui nous ferons confiance pour prendre cette décision.

INVIVOX : Pourquoi Philips a choisi comme axes de recherches les maladies cardiovasculaires, les maladies rares, et l’oncologie ?

N.V. :Le centre de gravité de ces pathologies, c’est l’imagerie. Les deux grandes applications sont la cardiologie et l’oncologie qui font le lien avec la génomique qui ne se limite pas à l’oncologie, notamment dans le plan France Médecine Génomique 2025. Il y a aussi l’idée de s’attaquer aux maladies rares en termes de grands nombres de séquençages. Notre centre d’expertise travaille sur d’autres sujets : l’accompagnement à domicile, le monitoring à l’hôpital, les maladies chroniques et respiratoires etc. et aussi des solutions d’e-santé, de suivi à domicile et de délégation d’actes grâce à l’IA. En France, par exemple, nous avons des projets avec le CHU de Caen autour des problématiques liées à la cardiologie : comment déployer des échographes portables, avec des sondes reliées à un smartphone ou une tablette, auprès des médecins généralistes, pour organiser un premier niveau de dépistage ou de suivi des patients ? Une étude est en cours pour constater ce que cela apporte.

INVIVOX : Qui sont les acteurs de l’IA en imagerie médicale à la génomique en passant par d’autres applications médicales ?

N.V. : Les acteurs traditionnels de l’imagerie médicale, qui travaillent beaucoup sur le sujet de l’intelligence artificielle, sont Philips, General Electric et Siemens. Il y aussi de nombreuses start-ups qui se construisent autour d’applications spécifiques comme le dépistage du cancer du sein, l’analyse de tumeurs, ou des offres cloud etc. C’est donc tout un écosystème avec des concurrents de toutes tailles dans de nombreux domaines applicatifs. De plus en plus, les grands groupes, comme Philips, offrent aux médecins non pas une solution pour chaque question clinique mais une solution globale d’intégration qui inclut aussi les solutions de start-ups afin d’obtenir une facilité d’utilisation grâce à nos plates-formes. Ce concept de plate-forme et de hub va donc aussi dans le sens d’intégrer des solutions tierces développées par les start-ups, les universités, ou les sites cliniques directement. 

INVIVOX : Pour développer ces algorithmes, vous avez besoin du soutien des médecins, afin de pouvoir tester et faire valider les systèmes, comment se passe cette collaboration entre industriel et professionnel de Santé ?

N.V. : La relation est assez fluide du fait de l’intérêt convergent pour l’intelligence artificielle. Les points critiques résident dans l’accès aux données car même si elles sont accessibles, ça ne signifie pas d’avoir l’accord des patients pour faire une étude et pour utiliser leurs informations dans un autre champ que celui des soins. Monter des études cliniques est donc chronophage. Sans parler des discussions pour qu’industriels et établissements de Santé y retrouvent leur compte. L’industriel veut valoriser ses investissements et l’établissement a sa propre problématique, avec au cœur du système la contribution des médecins qui est clef. Il y a des sites plus pragmatiques qui demandent seulement à avoir accès à ces systèmes pour pouvoir être les premiers à en bénéficier et d’autres qui tiennent absolument à avoir des retours sur l’exploitation commerciale, ce qui n’est pas toujours facile à gérer pour des multinationales qui ont des marchés dans le monde entier. Les collaborations entre médecins et chercheurs se passent globalement très bien mais quand ensuite nous décidons de développer la solution avec toutes les questions de propriété intellectuelle que cela implique, les cellules de valorisation de l’hôpital et de l’entreprise ont parfois des intérêts divergents.

INVIVOX : Quelles sont les menaces autour de l’IA ?

N.V. : Les algorithmes de l’IA ont besoin de beaucoup de données pour l’entraînement, mais une fois qu’ils sont déployés, ce sont des algorithmes comme tant d’autres. Dans les hôpitaux, tout est déjà basé sur l’informatique donc le recours à plus de solutions issues de l’IA n’est pas plus dangereux. Bien évidemment, si l’informatique lâche, c’est gênant pour l’hôpital surtout dans les endroits critiques. D’une manière générale, il est prioritaire de renforcer la sécurité des systèmes pour contrer les cyberattaques et les défaillances des systèmes. Il faut se méfier des objets connectés. Autre risque : centraliser trop de données pour créer des bases de données pour l’IA. Les cibles d’une cyberattaque sont plus attractives si beaucoup de données patients sont concentrées en un seul data center. 

« La concentration des data représente une menace mais c’est aussi une opportunité pour mieux se défendre grâce au déploiement des mises à jour qui permet d’agir plus facilement et rapidement sur un système centralisé. Il y a plus de menaces autour de l’utilisation de l’IA en tant qu’outil de prise de décision qui peut être biaisé que de risques d’attaques des systèmes. » 

INVIVOX : La France est-elle en bonne position dans la course à l’IA ?

Nicolas VILLAIN : Il y a un an le Président Macron a annoncé le déploiement du plan Intelligence Artificielle qui a pour but de faire de la France l’un des leaders en constituant un hub de recherche au meilleur niveau mondial en IA. L’Allemagne s’est positionnée très tôt dans la course, quant à l’Angleterre, elle est extrêmement active. La France est en train de rattraper son retard à grande vitesse.

Partager