"Offrir des perspectives à tous les soignants devrait être une priorité"
Des formations initiales en santé plus polyvalentes et dotées de passerelles, un nombre d’étudiants formés mieux ajusté aux besoins, des possibilités de formation continue qui rendent les carrières attractives et offrent des perspectives d’avenir : la vision de Stéphane Le Bouler, secrétaire général du Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Il s’exprime ici au titre des missions qu’il a réalisées et continue de conduire sur les formations de santé. Il a aussi coordonné, avec Pauline Lenesley, l’ouvrage Etudes de santé : le temps des réformes.
💬 En quoi consiste le processus d’universitarisation des formations paramédicales et de maïeutique dont vous avez été responsable au niveau interministériel ?
C’est un processus démarré depuis bientôt vingt ans. Dans un premier temps, il s’agissait de rapprocher la formation paramédicale du système LMD (licence-master-doctorat), et le DE (diplôme d’Etat) infirmier s’est vu conférer le grade licence à partir de 2009. Une petite place a été donnée à l’université dans la formation des infirmiers. Certaines universités ont été volontaristes, d’autres plus circonspectes. La dispersion territoriale des IFSI (Instituts de formation en soins infirmiers) a entraîné le développement de formations sous format numérique, plus ou moins sophistiquées, sous l’égide de conventions passées entre les régions, les IFSI et les universités. Ce cadre était assez souple mais peu engageant pour les acteurs.
Nous avons repris le dossier à partir de 2017 et fait évoluer les objectifs. Il s’agit désormais de se rapprocher vraiment des standards universitaires, avec l’alignement des droits des étudiants infirmiers sur ceux des étudiants d’université, la création de sections de qualification des enseignants-chercheurs en sciences infirmières, sciences de la rééducation-réadaptation et maïeutique, la possibilité donnée aux universités de définir elles-mêmes les maquettes de formation. Par exemple, ce sont les universités qui ont proposé et fait accréditer des maquettes de formation IPA (infirmiers de pratique avancée) et elles peuvent proposer des innovations, comme les passerelles de PASS (licence santé) ou LAS (licence avec mineure santé) vers les soins infirmiers, dans le cadre d’expérimentations… Ce mouvement s’opère à des rythmes différents selon les régions.
💬 Comment rendre les formations “plus agiles”, comme vous l’appelez de vos voeux ?
Il faudrait que le décloisonnement devienne le principe, alors qu’il est aujourd’hui l’exception. Il faut créer des ponts entre les formations et donc multiplier les occasions de mutualiser les enseignements, rapprocher matériellement et symboliquement les lieux de formation autour de l’Université, permettre les reprises d’études et les deuxièmes carrières de façon beaucoup plus fluide…
Plutôt que des processus de rééingénierie développés profession par profession, qui ont pu avoir comme conséquence un cloisonnement plutôt que d’ouvrir le système, on souhaite aujourd’hui dans le cadre des expérimentations un vrai adossement des DE à des diplômes universitaires de la santé, avec des troncs communs à tous les étudiants.
L’agilité et la capacité à évoluer dans le temps sont un autre enjeu. Par exemple, le même référentiel infirmier détermine les formations depuis 15 ans, sans tenir compte des évolutions des prises en charge des patients et de l’utilisation de la ressource infirmière… Il faut faire sauter les verrous.
💬 Quels sont les principaux enjeux du protocole État-régions sur les formations sanitaires, signé en mars dernier ?
L’Etat avait décidé d’augmenter de 20% le nombre d’infirmiers et de 6000 le nombre d’aides-soignants formés, dans le cadre du Plan de relance. Le protocole Etat-régions vise à pérenniser les accords et les financements. Ce sont donc 273 millions d’euros par an en plus qui vont être versés aux régions pour couvrir la hausse des quotas, les rémunérations des formateurs et l’accompagnement des régions en matière immobilière (projets hospitaliers de réhabilitation de locaux, dédiés à la formation).
Parmi les objectifs à relever :
- Instaurer un nouveau système de programmation dans la durée de ces places. Afin de ne pas attendre la prochaine pandémie pour se poser la question des effectifs à former, un rendez-vous régulier de programmation Etat-régions est souhaitable. Cela suppose un travail pour documenter les carrières des professionnels paramédicaux et leur mobilité.
- Revoir les stages et augmenter les capacités d’accueil, aller chercher tous les terrains possibles, améliorer l’encadrement en stage. Rebâtir une politique de l’accueil en stage est un enjeu majeur du maintien en formation de ces publics.
- Recruter des formateurs supplémentaires et revoir leur politique de formation, faire une place aux enseignants chercheurs.
- Consolider les modalités de recrutement dans ces formations. Les algorithmes de Parcoursup sont la synthèse des choix en matière de profils faits par les IFSI. A ce jour, les tutelles ne dialoguent guère sur les profils que l’on souhaiterait.
💬 Et la formation continue, dans tout cela ?
La formation continue est une dimension de l’attractivité des formations : la capacité à faire carrière dans la filière des soins infirmiers, ou la possibilité pour une aide-soignante de devenir infirmière, sont un argument important pour attirer des candidats. La formation continue est aussi un argument pour transcender la pénibilité au travail, pour se projeter dans l’avenir.
Or, peu d’agents profitent de la promotion professionnelle. Les principaux freins sont les coûts des formations pour les employeurs, d’autant que l’alternance n’est pas du tout développée à l’hôpital.
Ainsi les infirmières hospitalières ont aujourd’hui trop peu de perspectives d’évolution (et partent en nombre) : peu de places dans les spécialités infirmières (IADE, IBODE, puéricultrice), des concours avec des formations coûteuses non réalisées en alternance donc peu accessibles, des formations IPA émergentes.
Offrir des perspectives à tous les soignants devrait être une priorité.