Entretien avec Pr. Paul Frappé, président du Collège de médecine générale

"Pour qu’un patient soit bien soigné, il lui faut un médecin bien dans sa peau"

💬 Que vous inspire l’actualité très mouvementée des médecins généralistes : négociations conventionnelles, revendications tarifaires, opposition à l'accès direct aux paramédicaux, grèves... ?

Ce contexte difficile n’est pas nouveau, mais cette fois la crise identitaire se révèle. Le pouvoir politique a une ignorance des réalités de la médecine de ville depuis longtemps, et a le tort d’appuyer sur les oppositions au lieu de faire avancer tout le monde ensemble. Sous-entendre que l’évolution d'une profession doit se faire au dépend d’une autre, c’est malsain. Faire croire que la problématique de désert médical peut être résolue aux dépens des médecins, c’est contre-productif. Pour que les patients soient bien soignés, il leur faut des médecins bien dans leur peau. En crevant l’abcès, j’espère que cela débouchera sur quelque chose de plus sain. 

Notre “grand malheur” en médecine générale, c’est de relever du piano plus que du saxophone. Or au piano, on peut savoir faire une note juste, mais on ne sait pas pour autant jouer du piano. D’autres professionnels de santé peuvent savoir taper sur une touche, cela n’en fait pas des pianistes. Il faut rassurer les médecins. Oui des tâches peuvent être partagées, les compétences existent. Mais qui a la responsabilité de la partition, afin d’éviter la cacophonie ? Il n’y a pas de fil rouge aujourd’hui dans la manière de faire évoluer les métiers. Si on les oppose, si on attise les logiques corporatistes, on va droit dans le mur. 

Les conseils nationaux professionnels (CNP), qui regroupent l’ensemble des organisations œuvrant pour chaque discipline (syndicats représentatifs, structures scientifiques, académiques, de formation), pourraient être davantage sollicités.

💬 Etes-vous satisfait des orientations en médecine générale dans la nouvelle triennale DPC ?

Il y a eu d’importantes négociations en 2022. Nous (le CNP de médecine générale, ndlr) avons essayé de proposer une palette large de thèmes, incluant les fondements du métier, les actualités thérapeutiques, l’appropriation des innovations. 

Nous n’avons pas obtenu l’orientation sur la santé du professionnel, j'espère qu’elle sera acceptée dans le cadre de la certification avec des formations pertinentes pour la santé physique, psychologique et sociale du médecin. L’idée de base est de lui demander d’avoir son propre médecin traitant, mais idéalement, il faudrait aller beaucoup plus loin en abordant les thèmes de la parentalité, de l’évolution de carrière, de la prévention du burnout… Le DPC devrait à mon sens indemniser ces formations.  

De façon générale, j’espère que le DPC, encore trop peu utilisé, va évoluer avec la certification périodique des professionnels de santé.

💬 Justement, où en est-on de la mise en œuvre de la certification périodique des professionnels de santé ?

Les choses avancent doucement, le ministère a d’autres urgences. Le conseil national de la certification est nommé, les commissions par profession se mettent en place, les référentiels de chaque profession devraient être prêts d’ici l’été, espérons-le. 

Un enjeu important sera d’orienter le médecin vers le référentiel correspondant à son activité réelle. Aujourd’hui les diplômés de MG ne font pas tous de la médecine générale en libéral : certains exercent dans les services d’urgence, d’autres sont médecins du sport, allergologues etc. Les formations proposées doivent donc être adaptées.  

Le système d’information de la certification, confié à l’Agence du numérique en santé, est un autre gros enjeu. Nous espérons un système passif pour le professionnel de santé, sans travail de saisie pour lui : il faut que ce soit les organismes qui viennent compléter son compte et qu’il reçoive automatiquement son attestation. 

Ce n’est pas grave si la certification commence en retard, ça l’est beaucoup plus si nous accouchons d’une usine à gaz inadaptée. 

Enfin, il faut aussi rassurer les professionnels de santé. La certification est une démarche qualité, pas un indicateur de performance ni un jugement. La plupart des médecins sont déjà engagés de facto dans cette démarche de qualité. La certification permettra surtout à ceux qui ont le nez dans le guidon, de prendre un peu de hauteur.

💬  Quels seront les grands thèmes du prochain Congrès Médecine Générale France, du 23 au 25 mars à Paris ?

Notre fil rouge, traditionnellement un thème hors médecine, sera l’espace et les planètes. Nous aurons une keynote sur la santé planétaire de Sam Myers, professeur d’Harvard qui a développé ce thème dans le Lancet. Il y aura des communications sur One Health, la fabrique des pandémies…

Les actualités scientifiques seront bien sûr à l’honneur, de même que l’actualité professionnelle avec les négociations conventionnelles. 

Les travaux avec nos institutions partenaires seront présentés : l’aptitude au permis de conduire avec la Direction de la sécurité routière, le cannabis thérapeutique avec l’ANSM, l'antibiothérapie avec Santé publique France, les troubles thyroïdiens avec la HAS, le parcours psy avec la CNAM… 

Nouveauté de cette année, des “sessions controverses” permettront le débat autour de 2 sujets : “Violences médicales: sommes-nous tous violents ?” et “L’âge de départ à la retraite est-il une question médicale ?”. 

De nombreux autres thèmes seront aussi abordés : l’activité physique adaptée, les assistants médicaux, la téléconsultation, ou encore “soigner les méchants”.     

Propos recueillis par Catherine Holué

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