Entretien avec Michèle Lenoir-Salfati, directrice générale de l’Agence nationale du DPC (ANDPC)

"Les formats courts en e-learning, c’est l’enjeu des années à venir"

Changement de paradigme dans la demande et les modalités de formation, élaboration des orientations prioritaires du DPC pour les trois prochaines années, interrogations sur le futur dispositif de certification : la directrice générale de l’ANDPC se livre en toute franchise.

💬 Les professionnels de santé semblent être en retard sur leur obligation de DPC 2020-2022 : que cela vous inspire-t-il ?

En fait, on ne sait pas aujourd’hui si les professionnels sont en retard. Et pour cause : l’Agence n’a de visibilité que pour les 10 professions libérales conventionnées qu’elle finance. Parmi ces 500 000 professionnels, on sait que 276 000 sont engagés dans des démarches de DPC et il reste presque une année pour la période triennale 2020-2022. S’agissant des libéraux non conventionnés, des autres libéraux et de tout le secteur salarié, nous n’avons pas de visibilité. Il existe bien un document de traçabilité que chaque professionnel doit en principe renseigner sur notre site, mais peu utilisé jusqu’à maintenant par les professionnels que nous ne finançons pas. Nous allons essayer de récupérer des données auprès des opérateurs de compétences (OPCO).  

Nous avons conscience que le déploiement du DPC est compliqué dans les établissements de santé et pour les salariés : son financement est difficile (la priorité va souvent au plan de formation interne à l’établissement) et lors des deux années de crise sanitaire, les professionnels ont manqué de temps pour faire du DPC. Ceci dit, beaucoup de pratiques non déclarées comme du DPC pourraient l’être : staffs, démarches d’audit clinique, RMM, RCP… Nous travaillons avec les fédérations hospitalières (FEHAP, FHF et FHP) à la possibilité d’ouvrir notre plateforme d’inscription aux établissements afin qu’ils inscrivent leurs professionnels aux actions de DPC et en assurent le suivi.

💬 Comment se déroule la concertation pour l'élaboration des orientations prioritaires du DPC 2023-2025 ? De grands changements sont-ils attendus en 2023 ?

La concertation se déroule avec l’Etat (axes prioritaires de la stratégie nationale de santé), les conseils nationaux professionnels (compléments portant sur les grands enjeux d’amélioration des pratiques), la CNAM et les partenaires conventionnels (soutenir des axes particuliers de la convention, ex de l’avenant 6 sur la télémédecine). 

L’Etat a été sollicité entre juillet et novembre 2021 (ministères de la Santé, de l’Enseignement supérieur et de la Défense) et a arrêté un certain nombre d’orientations, qui pourront éventuellement être complétées. Sur cette base, les 80 CNP et la CNAM ont été sollicités pour des orientations complémentaires. 

Globalement, les nouvelles orientations seront plus précises, plus ciblées afin de mieux répondre aux besoins des professionnels, notamment celles de l’annexe 1. Aujourd’hui, ces orientations concernent toutes les professions et tous les modes d’exercice. La conséquence est que beaucoup d’actions sont très généralistes. Le nouvel arrêté comprendra des orientations ouvertes à toutes les professions mais avec un prisme de coordination des prises en charge ; certaines cibleront des professions spécifiques concernées par les enjeux de transformation.  Par exemple pour le repérage des problèmes de santé mentale en premier recours, la cible ce sont les MG porte d’entrée du parcours. Enfin les fiches de cadrage définiront plus précisément les axes attendus, comme de mini cahiers des charges. 

Pour les orientations de spécialités, déjà ciblées, la nouveauté est que certains CNP travaillent ensemble pour porter des actions communes : ophtalmos et orthoptistes,  médecine nucléaire et physiciens médicaux, par exemple. Les notions de parcours, de coordination deviennent majeures. 

Le projet d’arrêté sur ces nouvelles orientations sera adressé fin mai au ministère de la Santé, pour une publication début juillet. Les organismes de DPC auront l’été pour en prendre connaissance, construire les actions adossées, et pourront déposer les nouvelles actions pour le triennal 2023-2025  dès octobre 2022.   

💬 Quelles ont été les conséquences de la crise sanitaire sur les formats et les contenus des formations proposées par l'ANDPC ?

On observe un changement de paradigme : désormais les professionnels de santé plébiscitent les formations à distance, le e-learning ou les classes virtuelles. La demande de e-learning est passée de 24% en 2016 à 65% aujourd’hui, alors que l’offre de formations présentielles reste majoritaire. C’est une dynamique qui  n‘apparaît pas seulement conjoncturelle mais structurelle, je ne crois pas qu’il y ait de retour en arrière.  Il est donc nécessaire de définir  les critères d’un e-learning de qualité, depuis le diaporama jusqu’à la simulation, voire l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) par e-learning. Il faudra y travailler avec la HAS et le Haut Conseil du DPC. 

De plus, il y a une véritable appétence pour les formats courts. On assiste en somme à la déconstruction du modèle qui a jusqu’alors prévalu, celui du présentiel long : 7h, 14h, 21h. Aujourd’hui la prime va au distanciel court avec là aussi la nécessité de définir des critères de qualité. 

Pour résumer, nous devons donc aboutir à des contenus plus précis, plus adaptés aux exercices professionnels, et à des contenus distanciels en format court, réitérés (cycles de formats courts sur une année par exemple). 

Il faudra accompagner les organismes de DPC (ODPC) dans la construction de cette nouvelle offre sachant par ailleurs que le e-learning suppose  de nouvelles réflexions tant en termes pédagogiques que d’investissement, de développement de plateforme, de business plan.   

💬 Depuis 2020, les laboratoires peuvent financer la formation continue des professionnels de santé, qu'en pensez-vous ?

Ils peuvent en effet financer la formation continue mais pas le DPC. A l’ANDPC, nous ne gérons pas la formation continue. L’idée originelle du DPC est bien de de rompre, dans les suites de l’affaire Médiator avec le financement pharmaceutique et par l’industrie.  Dans les suites des Assises du médicament, Edouard Couty avait proposé l’instauration d’une taxe sur l’industrie pharmaceutique, gérée de façon indépendante par l’organisme de gestion du DPC (OGDPC à l’époque). Il faut peut-être remettre cette idée de taxe sur la table. 

Quoi qu’il en soit, avoir des contenus de formation sans influence de l’industrie, c’est important. 

💬 Comment le DPC va-t-il s'inscrire dans le nouveau processus de certification, normalement opérationnel au 1er janvier 2023 ?

Difficile de le dire à ce stade. Après l’ordonnance de juillet 2021, un premier décret a été publié le 12 mai 2022 au Journal officiel qui définit le rôle et la composition du conseil national de la certification périodique. 

D’autres textes sont attendus définissant le contenu de la certification, le porteur du système d’information, les CNP doivent élaborer les référentiels opposables à leur profession ou spécialité. Il est également nécessaire de travailler à l’articulation des obligations existantes (formation continue, DPC, accréditation) avec la nouvelle obligation de certification périodique. Dans tous les pays dans lesquels la recertification existe, elle s’est développée en continuum avec la formation continue déontologique, la formation obligatoire, le DPC. L’objectif est que cela prenne sens pour les professionnels  et ne soit pas vécu comme un empilement d’obligations. Il y a aussi un fort enjeu de parvenir à construire pour eux un guichet unique de traçabilité et de leurs différentes actions. 

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