Entretien avec le Dr Jean-Christophe Cejka, anesthésiste-réanimateur à  Lyon, formateur en simulation médicale, président fondateur de MEDAE (aides cognitives digitales MAX).

"Rendre les professionnels de santé acteurs de la construction d’une culture de sécurité"

💬 Quels sont les points à retenir s’agissant des accidents médicaux et des biais cognitifs ?

D’abord un constat : on ne restera toujours que des humains, et notre production d’erreurs est inévitable. Quel que soit notre métier, notre cerveau fait 3 à 10 erreurs à l’heure. Plus on gère de situations complexes, plus on commet d’erreurs. La plupart de ces erreurs sont corrigées immédiatement, pas toutes. Par ailleurs, nous sommes soumis à de très nombreux biais cognitifs. C’est à dire que même si nous pensons être rationnels, notre cerveau ne l’est en fait pas.

Parmi les quelque 250 biais cognitifs décrits, citons par exemple les biais « de jugement » comme les biais de confirmation (on va chercher dans une situation tout ce qui conforte nos a priori), ou d’exclusion (on va éliminer tous les arguments pouvant nous éloigner de notre première idée), les biais « de fixation » comme l’effet tunnel (on reste figé par l’importance ressentie d’une situation avec pour conséquence de faire moins bien en situation, en public, ce que l’on fait très bien seul chez soi). Il existe de nombreux autres biais.

Une conséquence dans le domaine de la santé, est que les erreurs humaines seraient à l’origine de 50 000 décès par an en France (250 000 aux USA), la moitié d’entre elles étant évitable. 

💬 Est-il vraiment possible de limiter les erreurs humaines ?

Les supprimer entièrement non, les limiter oui. Le travail à mener a plusieurs dimensions. 

Tout d’abord il faut arrêter de punir l’erreur. Tant qu’il y a punition, les informations ne remontent pas, et l’erreur ne permet pas de tirer des enseignements bénéfiques à tout le système. Dans l’aviation et le nucléaire, même dans l’armée désormais, la logique n’est plus punitive. En revanche, les étudiants en médecine ont toujours cette culture de l’erreur « commise par les mauvais ». Il est temps de banaliser l’erreur, de l’accepter avec humilité, et de la voir comme une opportunité d’améliorer le fonctionnement de l’équipe. 

Il convient aussi d’agir sur le niveau de formation. Sur le terrain, « you fight as you train » : il faut donc améliorer les formations… en sachant qu’on perd de toute façon 30 à 50% de nos capacités cognitives en situation. 

Enfin il faut travailler sur le rattrapage des erreurs. Ce qui implique d’améliorer le travail d’équipe, d’adopter les outils de CRM (crisis ressource management) développés en aviation : bien communiquer, savoir qui va prendre le leadership, qui et comment appeler à l’aide, bien répartir les tâches, intégrer des « aides cognitives » à l'entraînement et aux usages de terrain. Cela vient de l’aviation et du modèle anglo-saxon. 

💬 Les professionnels de santé sont-ils prêts selon vous à fiabiliser leurs pratiques ? Y sont-ils incités ?

Les étudiants en médecine sont jusqu’à maintenant sélectionnés sur leur capacité de mémoire, sans avoir conscience qu’en situation, ils commettront des erreurs et des omissions (30 à 50% d’oublis). J’ai mon bâton de pèlerin depuis 5 ans pour sensibiliser les confrères aux facteurs humains, à une autre culture qui met en avant le fonctionnement de l’équipe, qui ne tolère pas les comportements de chef de meute, qui travaille sur les biais cognitifs : réévaluer plus souvent, demander l’avis de ses collègues… 

Les choses progressent. Les professionnels de santé sont désormais considérés comme les « secondes victimes » des événements graves, et les directions des établissements sont de plus en plus à l’écoute de solutions permettant de gérer la crise des professionnels de santé.

Dans les CHU, les centres de simulation permettent désormais de prendre conscience de tout cela. Et la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR) a recommandé dès 2016 l’usage des aides cognitives pour la gestion des crises.  

💬 A quoi sert concrètement une aide cognitive ? 

Une aide cognitive efficace doit permettre de diminuer la charge mentale, de rassurer et diminuer le stress des professionnels, de fiabiliser les pratiques, d’améliorer le travail d’équipe (facteurs humains), de faire du reporting donc de l’analyse de pratique. 

Ces outils doivent s’incorporer aux formations et accompagner les professionnels sur le terrain. 

En l’occurrence, l’outil digital d’assistance cognitive MAX a démontré qu’il procure une amélioration systématique du CRM, ce qui impacte très positivement la restitution technique et le travail d’équipe.

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