Entretien avec Florence Ambrosino, infirmière et rédactrice du guide de l'infirmière en pratique avancée

"L'infirmière en pratique avancée"

💬 Pouvez-vous vous présenter et présenter votre parcours en quelques mots?

Je m’appelle Florence Ambrosino, je suis infirmière de métier et j'ai consacré plus de 30 ans de ma carrière à exercer en tant qu'infirmière libérale à Marseille. Au fil du temps, j'ai entrepris une reconversion dans le domaine de la formation continue. Aujourd'hui, je m'investis pleinement en tant que responsable pédagogique au sein d'un organisme de formation dédié aux professionnels de santé.

Parallèlement à cette activité, je suis également impliquée dans une start-up parisienne. Cette entreprise se spécialise dans l'organisation de parcours de soins pour les patients suivant une thérapie orale cancéreuse, en utilisant la télésurveillance. Dans ce contexte, les infirmières libérales jouent un rôle clé en collectant les données nécessaires à la télésurveillance de ces patients. Je suis fière de participer à cette initiative qui fait actuellement l'objet d'une expérimentation dans la région Grand Est, bénéficiant du cadre réglementaire de l'article 51.

Par ailleurs, j'ai développé un vif intérêt pour les Infirmières en Pratique Avancée (IPA) et j'ai apporté ma contribution à la mise en place de ce nouveau rôle infirmier, à ma façon. En souhaitant partager mon expérience et enrichir la littérature professionnelle, j'ai rédigé le guide de l'infirmière en pratique avancée 1 , publié à la fin de l'année 2018.

Actuellement, je prends un peu de recul dans ce domaine, car comme je ne suis pas moi-même IPA j’estime qu’il y a d’autres personnes compétentes qui sont en mesure de reprendre le flambeau.

💬  Pouvez-vous nous en dire plus sur ce guide? Est-il disponible au public?

Bien sûr, le guide est disponible aux éditions Vuibert. 

Depuis sa publication, il a bénéficié d'une mise à jour, et je prévois de m'atteler à une deuxième mise à jour d'ici la fin de l'année. Ce guide aborde spécifiquement le rôle de l'Infirmière en Pratique Avancée (IPA) en France. 

Contrairement à d'autres ouvrages plus spécialisés, j'ai souhaité poser les bases générales en décrivant le contexte français de la mise en place de ce nouveau rôle, en intégrant les expériences étrangères pertinentes. J'ai également examiné la perception de cette évolution, en prenant en compte des obstacles et des critiques auxquels elle a été confrontée. 

Cet aspect sociologique était essentiel, car j'ai vécu cette transition de l'intérieur et j'ai contribué, en collaboration avec l'Association nationale des infirmiers et infirmières en pratique avancée (ANFIPA), à l'élaboration des textes en collaboration avec la Direction générale de l'offre de soins (DGOS). Cette aventure a été extrêmement enrichissante.

💬  Selon vous, quels sont actuellement les enjeux de la profession infirmière?

L'un des enjeux majeurs de la profession infirmière concerne l’autonomie professionnelle, en particulier pour les infirmières exerçant en tant qu'infirmières libérales (IDEL). Elles disposent, en tant qu'entrepreneures, d'une plus grande marge de manœuvre par rapport à leurs homologues travaillant en milieu institutionnel, qui sont souvent sous l'autorité des gestionnaires, des cadres et des médecins. Cependant, cette autonomie doit être acquise à travers une formation adéquate.

La formation joue un rôle essentiel en permettant d'acquérir des connaissances réglementaires et législatives. Elle offre également une perspective historique de la profession, permettant aux infirmières de comprendre les fondements et les concepts qui les régissent. Cette connaissance approfondie de la profession est cruciale pour pratiquer de manière sûre et éthique, évitant ainsi les risques pour les patients. Elle permet également aux infirmières de justifier leurs actions et de se positionner de manière assertive face aux patients et aux médecins.

Il est important de souligner que l'image projetée par la profession infirmière est d'une importance capitale. Parfois, les infirmières, en tant que membres d'une profession principalement féminine, sont mal comprises ou sous-estimées. C'est pourquoi il est essentiel de présenter une image professionnelle et positive, afin de susciter la confiance et le respect des patients et du public en général.

En outre, la profession infirmière doit se positionner et revendiquer davantage ses droits et ses besoins. Cependant, en raison de facteurs sociétaux et des charges supplémentaires qui pèsent souvent sur les femmes, les infirmières peuvent rencontrer des difficultés à s'engager activement dans des actions militantes. Il est donc primordial de promouvoir la formation continue pour permettre aux infirmières de développer leurs compétences, notamment dans des domaines tels que les soft skills (terme qui désigne à la fois l'intelligence relationnelle, les capacités de communication, le caractère, les aptitudes interpersonnelles, NDLR) et le leadership. Ces compétences transversales contribuent à améliorer le travail d'équipe, à gérer des personnalités difficiles, à promouvoir la bientraitance et à résoudre les dilemmes éthiques.

Enfin, le phénomène du burn-out est un défi majeur pour la profession infirmière. Le leadership peut jouer un rôle essentiel dans la prévention du burn-out, en aidant les infirmières à se fixer des objectifs, à se donner un but professionnel et à bénéficier d'un soutien. Il est crucial de trouver un équilibre entre les valeurs personnelles et les exigences institutionnelles, afin de prévenir l'épuisement professionnel.

💬 La réglementation a également évolué du côté de la télésanté. Pensez-vous qu’il soit pertinent de prévoir des formations en lien avec ce sujet?

Je considère qu'il est pertinent de proposer des formations en lien avec ces sujets. Le télésoin, en tant qu'outil moderne, offre aux infirmiers une possibilité de s'affranchir des déplacements et d'autonomiser davantage les patients, même si ses possibilités sont encore limitées en termes d'actes réalisables. La téléexpertise, en particulier, propose une réglementation des échanges et une rémunération pour les actes effectués, tout en garantissant leur traçabilité. Cela valorise à la fois la qualité des soins et l’implication des professionnels de santé, aussi bien les requérants que les requis.

💬 Selon vous quels seraient les thèmes de formation les plus pertinents pour les IDEL?

Concernant l’exercice en libéral, je suis d'avis qu‘idéalement, cela devrait être une spécialisation reconnue avec un diplôme universitaire ou une formation spécifique, car les infirmiers ne sont pas formés initialement à la gestion d’une entreprise, et le libéral, c’est une entreprise! Cela apporterait une réelle plus-value et permettrait aux professionnels de comprendre les aspects de l'entrepreneuriat, qui sont souvent méconnus. En effet, l'expérience démontre que même des infirmières installées depuis plusieurs années peuvent manquer de connaissances sur le fonctionnement global du système de santé, les décrets et compétences associés, les obligations administratives, telles que les relations avec l'URSSAF et les caisses de retraite, ainsi que la comptabilité.

Dans ce cadre, je considère qu'il est essentiel de suivre une formation spécifique à la NGAP (Nomenclature Générale des Actes Professionnels), car celle-ci évolue fréquemment et peut être complexe à maîtriser. Il existe beaucoup de thèmes en dehors des approches purement cliniques comme la violence conjugale, la crise suicidaire ou encore l’approche des personnes autistes. Il est également important de se former dans des domaines connexes tels que l'éthique, l'entretien motivationnel et les approches éducatives. Il est crucial de distinguer l'Éducation Thérapeutique du Patient (ETP) des tâches courantes et de respecter les limites de compétence, même pour les infirmiers ayant une expérience de plusieurs décennies.

Il convient de souligner que les formations libérales, y compris la formation à la NGAP, sont indispensables pour exercer de manière compétente et respecter les réglementations en vigueur. La méconnaissance de ces aspects peut avoir des conséquences négatives sur la réputation de la profession. Malheureusement, il existe encore des stéréotypes persistants qui associent l'infirmière à des qualificatifs tels que "gentil(le)" plutôt que de reconnaître pleinement la compétence et l'expertise. Il est temps de changer cette perception.

En ce qui concerne la professionnalisation de notre métier, il est vrai qu'il a évolué pour finalement devenir une profession reconnue, bien que la formation initiale dans les Instituts de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) ne soit pas encore pleinement universitaire. Il est crucial que les études infirmières subissent une réforme fondamentale, qui est d’ailleurs en cours…

💬 Quel est votre regard sur la profession à l’international? Par exemple, il existe des doctorats en sciences infirmières au Canada, à l’université de Laval.

En France, ce cas-là va arriver progressivement, beaucoup d’infirmières possèdent déjà un doctorat; le Doctorat en sciences infirmières n’est pas encore ouvert mais c’est en cours de mise en place. Il y a donc beaucoup d’infirmières titulaires d’un master qui souhaitent aller plus loin dans leurs études mais qui se dirigent en sciences de l’éducation ou dans quelque chose d’autre de similaire, en attendant le doctorat en sciences infirmières, déjà présent dans d’autres pays.

1. Florence Ambrosino, Le guide de l’infirmier(ère) en pratique avancée - 2ème édition, Paris, Ed. Vuibert, 2021

Propos recueillis par Sabrina Amir et Marine Dalle

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