Entretien avec Alexis Bataille-Hembert, infirmier, chargé d’Affaires publiques pour Galileo Global Education

"La seule façon d’évoluer pour les aides-soignants, c’est de se former"

💬 La Cour des comptes a publié un rapport sur "Les enjeux de la maîtrise des risques professionnels dans les établissements et services pour personnes âgées et personnes en situation de handicap". Que faut-il en retenir selon vous ? 

J’ai été auditionné pour ce travail rapporté par le conseiller référendaire David Causse, et j’en retiens un enseignement : la population des aides-soignants, des aides médico-psychologiques et des auxiliaires de vie est la plus fragile en termes d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Trois fois plus que dans le secteur du bâtiment. L’analyse démontre notamment un lien évident entre le nombre d’accidents, tels que les troubles musculo-squelettiques ou les chutes, et le taux d’encadrement des personnes âgées et/ou des personnes en situation de handicap dans les EHPAD.

Aujourd’hui ce taux d’encadrement est très difficile à mettre en évidence dans ces établissements (sauf en secteur de réanimation et de soins continus). Aussi, la Cour des comptes recommande de se rapprocher d’un taux d’encadrement d’1 pour 1 (un aide-soignant pour un patient) car cela réduirait de 30 % le nombre d’accidents du travail, avec pour corollaire d’investir la qualité de vie au travail et de diminuer la fatigue professionnelle, donc in fine d’améliorer les conditions de réalisation des soins. C’est incontestablement l’objectif.

💬 Vous étiez aide-soignant et êtes devenu infirmier : cette évolution professionnelle est-elle facile en France ? 

Une formation d’infirmier coûte environ 20 000 euros. Dans la fonction publique hospitalière, les budgets de formation ne sont en général pas à la hauteur des besoins de formation, d’autant plus pour une formation longue et aussi coûteuse. En effet, financer une formation en plus du salaire, cela fait beaucoup. Or, sur un plan fonctionnel, la seule façon d’évoluer pour les aides-soignants, c’est de se former, même si devenir infirmier pour un aide-soignant n’est pas l’unique source d’épanouissement professionnel.

A ce jour, j’estime qu’il existe des pistes à explorer pour réduire la durée de formation, donc le coût pour les structures employeurs, en particulier grâce à la validation des acquis professionnels et d’expériences. Nous pourrions tout à fait envisager de reconnaître l’expérience de l’aide-soignant à travers ce mécanisme et revenir aux dispositifs antérieurs de la formation infirmier (avant universitarisation) qui leur permettaient d’effectuer le cursus en deux ans.

💬 Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2023 contient-il des dispositions impactant la formation continue des infirmiers ? 

Oui, le PLFSS 2023 comprend des dispositions spécifiques à la compétence de l’infirmier, qui appellent donc à des actions de formation continue. Je mentionnerai la rédaction des certificats de décès (jusqu’à maintenant réservée aux médecins) et l’accès direct aux infirmiers de pratique avancée (IPA). 

La rédaction du certificat de décès par l’infirmier soulève quelques discussions. Pourtant, certains médecins généralistes ont aujourd’hui des difficultés à se déplacer rapidement à domicile ou sur la voie publique pour un décès. Il s’agit donc de faire gagner du temps à tout le monde et d’être facilitant, dans ce cas, pour le parcours déjà bien compliqué du deuil.

💬 Les sept Ordres des professionnels de santé viennent de signer un accord pour faciliter le transfert des tâches. Que cela vous inspire-t-il ? 

Cela vise avant tout à faciliter le parcours du patient, à réduire les inégalités d’accès aux soins. Dans ma zone rurale par exemple, certains patients ne peuvent pas se déplacer dans un rayon de 20 km afin de consulter un médecin, mais ils peuvent tout à fait se rendre chez un infirmier, à proximité. Il s’agit là d’une petite révolution qui devrait fluidifier le système de façon concrète.

Privilégier le parcours du patient et du citoyen, c’est envisager la prévention, faire gagner les différents professionnels de santé en compétences, adopter une logique de raisonnement clinique partagé, diminuer l’errance diagnostique et les actes inutiles, donc maîtriser et améliorer la pertinence des dépenses de santé. 

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