Entretien avec le Dr Alain BEAUPIN, président de la Coopérative de santé Richerand (Paris 10e) et de l’Institut Jean-François Rey (centres de santé pour la recherche en soins primaires). 

"La prévention non médicalisée est une priorité"

💬 Vous vous prononcez en faveur d’une bascule de notre système de santé vers la prévention. Que cela implique-t-il en matière d’organisation des soins ? 

Nous sommes arrivés au bout de la logique de notre système de soins actuel. Il y a eu dans le passé une longue période où les investissements dans les soins ont produit des gains très importants en termes de santé publique et de santé individuelle. Cette période est révolue : aujourd'hui quand on investit 100, on gagne 10. La notion de progrès doit être réinterrogée, la pertinence du tout curatif et du tout productiviste (paiement à l’acte), également. C’est le moment de mettre les ressources là où on a beaucoup à gagner : la prévention

S'agissant des professionnels, ce ne sont pas les médecins qui sont forcément les mieux placés pour faire de la prévention. D’une part car nous manquons de ressource médicale, d’autre part car cette prévention requiert une approche décentrée du soin, un temps pas forcément médical. L’exercice en équipe pluriprofessionnelle, réunissant autour d’un objectif commun des professionnels de différents métiers et cultures, apparaît comme un cadre propice aux actions de prévention. 

Dans cette logique, on ne parle pas ici de prévention centrée sur une maladie (le diabète, le cancer etc.) mais sur un patient, c'est-à-dire une personne qui ne rentre pas dans une seule case, et dont le psychisme ne peut être dissocié du corps.    

💬 Quel va être le premier chantier de prévention de la coopérative de santé Richerand ?

Ce projet expérimental concerne le dépistage des troubles psychiques. La crise sanitaire a mis en lumière le mal-être psychique, pour lequel nous n’avons aujourd’hui pas de réponse satisfaisante. Notre volonté est donc de repérer ces troubles au tout début, avant le stade de mal-être - et bien sûr avant la dépression - et de proposer leur prise en charge avec des techniques validées, par des psychologues et infirmières, dans le cadre de protocoles. Plus on intervient au début, plus on va pouvoir corriger les choses. La prévention non médicalisée est une priorité.

J’insiste sur le fait que nous ne parlons pas de maladies clairement identifiées et déjà prises en charge, comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires. Mais de signes relevant d’une anxiété sociale, environnementale, de premiers pas vers la dépression ou le burn-out, de troubles liés à des psychotraumas dans l’enfance…   

Nous pensons que ces patients nous seront sûrement adressés par des cliniciens qui les voient pour d’autres motifs, mais sentent une difficulté psychique.  

Ce projet est porté par les trois centres que comprend la coopérative de santé : le centre de santé (très orienté ville-hôpital et publics vulnérables), le Centre de psychotrauma de l’Institut de victimologie (CPIV, violences intrafamiliales notamment) et le Centre Parcours d’exil (accueil de migrants victimes de violences étatiques).  

Nous devons le finaliser et boucler le financement, via l’agence régionale de santé ou l’Article 51. 

💬 Quelles formations doivent suivre les professionnels de santé concernés ?

La formation va de pair avec le changement. Si on entraîne d'autres équipes pluriprofessionnelles dans ces projets de prévention - c’est notre souhait -, il y aura des besoins de formation sur les techniques de repérage et de traitement. Notre souhait est d’utiliser des innovations utiles aux praticiens. Par exemple, des algorithmes faisant appel à de l’intelligence artificielle, permettant de repérer des troubles dans le langage naturel des personnes ; des dispositifs médicaux numériques proposant des techniques non médicamenteuses ; des techniques validées, comme l’EMDR.

On connaît la direction à prendre, on va désormais tester nos hypothèses ! 

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