E-learning et Algorithmes décisionnels pour une meilleure prise en charge des maladies fébriles

Remettre à jour ses connaissances dans le diagnostic et la prise en charge de la fièvre, paludéenne ou non, n’est pas toujours simple faute de temps et d’accès à la formation. C’est la raison pour laquelle UPSA et des experts locaux ont décidé de proposer un nouveau format d’apprentissage en ligne : arborescence intuitive, format vidéo efficace, échanges, cas cliniques, arbre décisionnel… Ce module en ligne répond aux réalités de terrain rencontrées par les professionnels de santé.

INVIVOX : Quelle est la problématique en Afrique dans la prise en charge de la fièvre ?

Dr Paul NDENBE : Cette problématique n’est pas réservée qu’à l’Afrique ; elle est présente dans le monde entier. La question est de savoir ce qui se cache derrière la fièvre qui est un symptôme appelant à un diagnostic. La difficulté est de bien poser ce diagnostic afin de proposer un traitement adéquat.

INVIVOX : Quelles sont les données épidémiologiques du paludisme en Afrique Sub-Saharienne ?

Dr P. N. : Nous disposons de données de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) publiées en décembre 2019. Au niveau mondial, le nombre de cas de paludisme est estimé à 228 millions en 2018, il est en recul depuis 10 ans. 213 millions (soit 93 %) ont été enregistrés en 2018 dans la région Afrique de l’OMS, loin devant la région Asie du Sud-Est (3,4 %) et la région Méditerranée orientale (2,1 %). Six pays, à eux seuls, ont enregistré plus de la moitié des cas : le Nigéria (25 %), la République démocratique du Congo (12 %), l’Ouganda (5 %), ainsi que la Côte d’Ivoire, le Mozambique et le Niger (4 % chacun). Il y a eu 405 000 décès dans le monde en 2018, dont 94% en Afrique qui paye donc un lourd tribu.

INVIVOX : Quelle est la proportion entre cas de fièvre non paludéenne et paludéenne ? 

Dr P. N. :  Cette proportion est empirique. Les fièvres d’origine paludéennes peuvent être estimées entre 40 et 50%. Parce que, nous manquons d’outils de recueil de données fiables dans nos différentes formations médicales.

INVIVOX : Si en l’état actuel ces données vous manquent, cette formation pourrait-elle permettre à l’avenir d’en générer grâce au réseau des médecins que vous allez former ?

Dr P. N. : Oui, bien sûr. Cela peut être envisagé, mais il faudrait qu’on organise dans nos pays ce recueil de données cliniques et biologiques de manière fiable et bien codifiée afin de les rendre facilement lisibles, accessibles à tous et exploitables. En Afrique, nombreux sont les centres de santé qui ne disposent d’aucun registre des maladies et nombreux sont les patients sans diagnostic posé alors qu’ils ont de la fièvre. Cette lacune est un véritable problème pour fournir des données statistiques sures et pourtant nécessaires compte tenu de cet enjeu de santé publique majeur.

Pr Horo KIGNINLMAN - Pneumologue – Chef de service des urgences – CHU de Cocody Abidjan, Côte d’Ivoire

INVIVOX : En quoi le diagnostic d’une fièvre paludéenne versus une autre cause de fièvre est-il si difficile à poser ?

Dr P. N. : Sur un plan clinique, le paludisme ne présente pas, en dehors de la fièvre, de signe organique spécifique. Le patient peut avoir des symptômes et des signes comme la fièvre, des céphalées, des douleurs abdominales, une splénomégalie qui ne sont pas spécifiques au paludisme. Le diagnostic biologique n’est pas toujours évident dans certaines régions qui ne disposent pas de laboratoire. En outre, il est possible de faire un accès palustre avec goutte épaisse négative, ce qui conduit à écarter à tort le diagnostic.

 

INVIVOX : Dans cette région, le paludisme est donc le diagnostic d’élimination ?

Dr P. N. : Oui, face à la fièvre, ce doit être un diagnostic d’élimination parce que les complications du paludisme peuvent être graves. Nous constatons, en effet, une diminution du nombre de piqures de moustiques liée à un usage important de mesures de lutte comme les insecticides, un meilleur assainissement du milieu de vie et l'utilisation des moustiquaires imprégnées à longue durée d'action. Cette baisse du nombre des piqures de moustiques induit une diminution de l’immunité relative lors de l’infestation des sujets. Cette baisse des défenses immunitaires pourrait expliquer l'exacerbation des cas sévères voire mortels.

INVIVOX : Quelles sont les autres causes de fièvre les plus fréquentes ? 

Dr P. N. : Dans nos pays, nous avons de nombreuses autres maladies parasitaires que le

paludisme qui donnent aussi de la fièvre. Nous sommes dans une région où il y a beaucoup d’infections virales, bactériennes, et fongiques qui se présentent fréquemment avec une fièvre. De plus, on peut noter d’autres causes de fièvre comme celles des affections malignes, des maladies inflammatoires, des maladies endocriniennes, des fièvres médicamenteuses et même parfois des fièvres factices.

 

INVIVOX : Quelles sont les dernières avancées diagnostiques et techniques pour la fièvre et le paludisme ?

Dr P. N. : Je pense qu’il y a des avancées. Sur le plan de la fièvre, le dosage de la procalcitonine (PCT) peut permettre de faire la différence entre infection virale et infection bactérienne surtout dans les fièvres prolongées ; mais cet examen qui est un des meilleurs marqueurs de l'infection bactérienne systémique est assez cher et peu accessible aux petites bourses. Au niveau du paludisme, les nouvelles générations des tests de diagnostic rapide (TDR) permettent une meilleure accessibilité même dans les régions les plus isolées. En dehors, des Artemisinin-based combination therapy (ACT) et de l’artésunate qui se donne par voie intra-veineuse, il n’y a pas de grandes avancées récentes.

Dr Paul NDENBE – Onco-hématologue Pédiatre – Centre Médical Médico – Douala, Cameroun

INVIVOX : Comment avez-vous développé vos algorithmes décisionnels ?

 Dr P. N. : Nous sommes partis des consensus des experts mondiaux, que ce soit des infectiologues que d’autres spécialistes, en adaptant leurs recommandations aux spécificités de l’Afrique avec ses nombreuses parasitoses dont le paludisme.

 

INVIVOX : Quel est l’intérêt de proposer cette formation en ligne ?

Dr P. N. : Celui d’atteindre rapidement le plus de confrères possibles. Apporter des propositions de formation et des arbres décisionnels adaptés au contexte. De plus, il est toujours utile d’avoir des aides mémoires qui permettent de nous rappeler la rigueur scientifique que devrait avoir tout praticien dans l’exercice de son art au quotidien.

 

INVIVOX : Ce module de formation a été développé en collaboration avec des experts locaux, en quoi leur retour d’expérience est-il très important ?

Dr P. N. : C’est pour adapter les réponses au contexte et aux pathologies locales. Cette formation contribue à améliorer notre approche thérapeutique sur le plan sociologique voire anthropologique. En effet, face à un sujet, les appréhensions ne sont pas toujours les mêmes sous tous les cieux. D’autant plus que les personnes qui consultent dans nos régions ne sont pas toujours nécessairement des médecins. Ils peuvent être infirmier(e)s, pharmacien(ne)s, personnes apparentées au monde médical, ou encore tradipraticien(ne)s. Cette formation intéresse aussi tous les soignants qui pourraient se retrouver face à un patient ayant séjourné en Afrique.

 

INVIVOX : Quels bénéfices les participants vont tirer de cette formation ?

 Dr P. N. : Cette formation, co-animée avec le Pr Horo KIGNINLMAN, va contribuer à une meilleure prise en charge des pathologies fébriles. Elle permettra de gagner en rigueur dans l’exercice qui consiste à bien interroger et bien examiner les patients, pour poser le bon diagnostic et proposer un traitement adapté. C’est important de rappeler ces étapes chronologiques car au quotidien, il arrive parfois de sortir de cette orthodoxie médicale, d’où l’intérêt des algorithmes. Ces arbres décisionnels sont utilisables en consultation.

 

INVIVOX : Comment voyez-vous l’avenir de la formation continue dans votre discipline à l’ère du numérique et de la télémédecine ?

 Dr P. N. : Je pense qu’elle a des jours meilleurs en perspective. Plus les praticiens seront formés et recyclés, mieux les populations seront soignées, à condition qu’il y ait une réelle pénétration du numérique.

 

INVIVOX : La téléformation comme la télémédecine sont-elles des solutions particulièrement adaptées pour des médecins exerçant dans des territoires isolés ?

 Dr P. N. : Oui, tout à fait et pas seulement dans nos régions, mais là aussi sous le postulat d’une bonne couverture internet.

 

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