Découvrez l'histoire du cardiologue français qui a sauvé 400 000 vies

En 2002, une révolution médicale fut initiée par le Pr Alain Cribier du Centre Hospitalier Universitaire de Rouen : le TAVI (Transcatheter Aortic Valve Replacement).

En 2002, une révolution médicale fut initiée par le Pr Alain Cribier du Centre Hospitalier Universitaire de Rouen : le TAVI (Transcatheter Aortic Valve Replacement).

Il s'agissait de remplacer une valve aortique (*) déficiente, par une prothèse, sans chirurgie invasive. C'est-à-dire sans ouverture du sternum, ni recours à une circulation extracorporelle (CEC) pendant l’intervention.

 Le TAVI présente plusieurs avantages :

-        Traiter des patients de façon moins invasive par rapport à la chirurgie cardiaque classique,

-        Et par conséquent, raccourcir la durée d’hospitalisation en évitant le passage en réanimation.

Comme pour l’intervention chirurgicale classique, le TAVI apporte un soulagement des symptômes, par rétablissement immédiat de la fonction de la valve, également une amélioration de l’espérance et de la qualité de vie des patients.

Aujourd’hui, dans le cadre des enseignements proposés par Invivox, le Pr Alain Cribier partage son expérience de pionnier : « On ne possède véritablement que ce que l’on partage », comme il le soulignait dans une tribune récente du Figaro.

(*) Une valve aortique a pour fonction de laisser le passage du sang du ventricule gauche dans l'aorte, tout en empêchant son reflux.

Dr Alain Cribier – Cardiologue – Professeur des Universités

Invivox : Comment est né le TAVI ?

J’avais observé que de nombreux patients atteints de rétrécissement aortique étaient laissés pour compte, sans aucune option thérapeutique, car à risque de mortalité de 80% dans les 2 ans.

En effet, dans les années 80, plus d’1/3 de ces patients étaient récusés en raison des risques liés à leur âge. À Rouen, au-delà de 75 ans, seul 1% des patients étaient acceptés pour avoir un remplacement valvulaire aortique, et tous les autres patients décédaient. Pour ces patients, nous avons proposé un traitement par cathétérisme cardiaque qui consistait en une dilatation par ballonnet de l’anneau aortique (valvuloplastie aortique). Cette « première » a eu lieu à Rouen en 1985. Rapidement, cette technique s’est mondialement imposée. Dans les années 90, on a constaté une importante limitation de cette méthode, la resténose précoce, et cette technique a rapidement décliné. Je me suis alors demandé ce qu’on pouvait faire pour éviter la resténose et le TAVI s’est imposé comme la seule solution possible. J’ai eu l’idée de remplacer la valve aortique lésée par une valve artificielle, selon la même technique (cathétérisme sous anesthésie locale) en passant par l’artère fémorale.

En effet, nous devions proposer une solution aux limites de la première technique.

Invivox : Quel dispositif avez-vous donc imaginé ?

La seule possibilité pour implanter une valve par voie fémorale était d’avoir une valve qui pouvait être comprimée sur un ballonnet, de façon à réduire le diamètre, permettre son insertion par l’artère fémorale, pour ensuite larguer le dispositif à l’intérieur de la valve malade par gonflage du ballonnet.

Pour cela, la valve était sertie sur un cathéter à ballonnet, lequel était introduit à l’intérieur des vaisseaux, initialement la veine fémorale, puis l’artère fémorale, monté jusqu’au cœur. Une fois placée, la valve récupérait sa taille en gonflant le ballonnet. À cette époque, il n’y avait qu’une taille de valve : 23 mm de diamètre en pleine expansion. Elle tenait en place par les calcifications de la valve aortique. Le procédé était ingénieux, mais il a fallu démontrer par une étude sur autopsie de personnes décédées des suites d’un rétrécissement aortique, que c’était réalisable au plan anatomique. De là, on a pu avancer.

Initialement, la valve était en polymère. Avant de passer à l’homme, nous avons opté pour une valve biologique d’origine bovine qui ressemble à une valve aortique normale de 3 feuillets. Le péricarde bovin est homologué dans le monde entier ; il est utilisé dans les bioprothèses chirurgicales.

De nombreux prototypes ont été fabriqués avant d’obtenir la valve idéale, prête à être implantée chez l’animal et chez l’homme.

Invivox : 12 ans de recherche avant le jour « J » !

La journée où l’on a essayé pour la première fois la technique du TAVI n’était pas prévue. 

On avait testé en laboratoire des prototypes développés avec ma start-up (PVT - Percutaneous Valve Technologies Inc.) que j’avais créée en 1999 aux Etats-Unis, avec un collègue américain et deux ingénieurs. Ce jour-là, nous avons reçu de Lille un patient rare. C’était un homme de 57 ans, avec un rétrécissement aortique très sévère, en phase terminale, et de nombreuses contre-indications chirurgicales. C’est la raison pour laquelle, il a été envoyé à Rouen. Non pas pour qu’on lui mette une valve, mais pour qu’on lui fasse en urgence une dilatation valvulo-aortique au ballonnet, qu’on continuait à exercer dans les cas désespérés.

Nous avons pratiqué une dilatation aortique en urgence, sans succès, avec plusieurs arrêts cardiaques durant la procédure. Nous nous sommes trouvés confrontés à une situation où nous ne pouvions plus faire de dilatation aortique. Le pronostic vital était engagé dans les heures qui allaient suivre. Nous avons échangé avec le patient et sa famille, avec les équipes de PVT pour envisager une première implantation dans cette situation désespérée. Les conditions n’étaient pas idéales pour implanter notre dispositif pour la première fois chez l’homme ! Cette première implantation valvulaire aortique a donc été réalisée en urgence absolue. Toutes les conditions étaient réunies pour que cela échoue. La valve a été fabriquée en urgence pendant le week-end. L’intervention s’est bien passée et les résultats ont été spectaculaires. La technologie était prête, comme les études l’avaient prédit. Le résultat immédiat sur la fonction cardiaque a été un succès.

Invivox : Quelle était l’ambiance au bloc ?

Nous étions assez stressés car ce malade se présentait très mal. On était loin de ce qu’on avait envisagé pour un premier patient ! C’était le pire cas qu’on pouvait envisager.  

Il avait toutes les contre-indications actuelles du TAVI. On ne le savait pas encore ! Il avait un caillot à l’intérieur du cœur, les artères fémorales bouchées. Il a fallu improviser une nouvelle technique pour mettre en place la valve qui n’était pas du tout celle prévue initialement. Ce premier TAVI a été réalisé par voie transeptale (en passant par la veine fémorale et non pas par l’artère fémorale). Or, ce patient avait les deux artères fémorales bouchées. Il a donc fallu trouver une autre voie : la veine fémorale.  

C’était donc un vrai challenge pour cette première valve car on ignorait si on arriverait à franchir tous ces obstacles. Le cœur était quasiment inerte, la fraction d’éjection était à 10% alors qu’elle est normalement à 70%. C’était terriblement tendu. D’ailleurs, la valve a été implantée pratiquement en arrêt cardiaque ; il a fallu la mettre à toute allure. Une fois la valve posée, le patient a repris des couleurs :  une véritable résurrection avec récupération immédiate d’une tension artérielle.

Dès le lendemain, la presse relayait cette première mondiale. Le malade, qui était mourant 3 jours avant, a pu donner des interviews. Il s’était vraiment passé quelque chose d’incroyable. Ça a été le point de départ de l’aventure.

Invivox : Que s’est-il passé après ce 1er cas patient ?

 Après ce premier succès, les Autorités de Santé françaises nous ont permis de faire une série de patients dans des conditions uniquement compassionnelles. Le Centre Hospitalier de Rouen était l’unique centre à faire cette intervention dans le monde.

Les patients nous étaient adressés de toute la France, mais nombreux mourraient soit pendant le trajet, soit à l’arrivée dans le service, car atteints de co-morbidités graves (cancer, insuffisance rénale ou insuffisance respiratoire à des stades terminaux etc.). Pour autant, la valve a pu être posée avec succès dans 85% des cas.

Ces résultats ont été communiqués dans des revues scientifiques de référence et l’accueil de la communauté médicale a été bon. La nouvelle s’est répandue comme une trainée de poudre. Certains de ces patients ont survécu plusieurs années, jusqu’à plus de 6 ans, totalement rétablis avec une valve parfaitement fonctionnelle. Aucun cas de détérioration valvulaire n’a été observé. L’impact a été immense pour la reconnaissance de cette technique.

Invivox : Le TAVI passe de l’ombre à la lumière, l’heure du transfert de technologie avait-t-elle sonné ?

Suite à cette série de patients désespérés, Edwards Lifesciences, leader mondial en bioprothèses chirugicales (avec notamment la valve de Carpentier), qui n’avait initialement pas manifesté d’intérêt pour soutenir ce projet, a finalement fait l’acquisition de PVT Inc.

En effet, pendant la période de mise au point de la méthode, je n’ai eu d’autre choix que de créer cette start-up, PVT Inc. J’avais contacté toutes les compagnies biomédicales pour me soutenir dans ce développement. Pas seulement Edwards Lifesciences, mais aussi Medtronic, qui a développé une valve concurrente en parallèle. Personne ne croyait en mon projet.

Créer une start-up était la seule possibilité pour développer cette technologie. Nous avons eu la chance de trouver un partenaire en Israël (Aran Research and Development Ltd.) qui a accepté de travailler et d’investir avec/sur notre équipe. Les ingénieurs se sont passionnés pour le sujet. Nous avons pu concevoir un prototype de valve qui a été implanté chez l’animal avant de passer à l’homme. Un immense travail de recherche et de développement a été conduit grâce à ces équipes.

Invivox : Est-ce plus facile maintenant de développer ce type de dispositif médical ?

La prothèse que j’ai développée était destinée au remplacement de la valve aortique, la maladie valvulaire acquise la plus fréquente. Le rétrécissement aortique concerne 5 à 7% des individus au-delà de 65 ans, les autres valves étant moins fréquemment touchées.

Le TAVI a ouvert la voie au développement d’autres types d’endoprothèses valvulaires implantables par voie transcutanée. La cardiologie interventionnelle, qui se limitait au cathétérisme cardiaque, a évolué vers des domaines jusqu’alors réservés aux chirurgiens thoraciques. Elle est devenue un catalyseur d’une foule d’innovations dans le domaine cardio-vasculaire.

"Aujourd’hui, plus de 400 000 patients ont été traités par TAVI. En France, une cinquantaine de centres pratiquent le TAVI. Environ 15 000 valves sont posées par an. Dans notre service à Rouen, on met 5 à 7 valves par semaine."

Invivox : Quels obstacles avez-vous rencontré ?

Il y a eu une guerre ouverte avec les chirurgiens cardiaques qui pensaient que le TAVI était impossible et dangereux pour les patients. Elle a continué même après avoir fait les implantations chez l’homme.

Jusqu’au miracle en 2005. Edwards Lifesciences avait fait l’acquisition de la valve depuis un an et demi déjà. On a eu l’idée de développer un système permettant d’installer la valve par mini-chirurgie (par voie transapicale, par une petite ouverture du thorax, en laissant le cœur battre sous anesthésie générale). La première valve transapicale a donc été posée à Leibzig, en Allemagne, en ma présence. Il y a eu ensuite une superbe retransmission en direct de TAVI par voie transapicale lors d’un congrès de chirurgie cardiaque aux Etats-Unis, devant 2000 chirurgiens cardiaques. À partir de là, le revirement des équipes fut complet.

En fait, avec le prototype que j’avais développé, seulement 50% des patients avait une artère fémorale suffisamment large pour qu’on puisse introduire le matériel. Le développement de la voie transapicale a permis à ceux qui ne pouvaient pas bénéficier de la voie transfémorale de profiter de la technique. Tous les besoins étaient couverts.

Invivox : Quelles sont les évolutions encore possibles ?

Non seulement il va y en avoir, mais il y en a eu !

Depuis 2002, Edwards Lifesciences a développé plusieurs générations de valves, de plus en plus performantes et parfaitement adaptées aux différents diamètres de l’anneau aortique. Le choix des tailles couvre tous les besoins cliniques. Les progrès dans les technologies d’implantation de la valve sont pharamineux, inimaginables quand on a commencé ! Aujourd’hui, les valves peuvent être introduites dans 92% des cas par voie transfémorale et percutanée sous simple anesthésie locale. 

Il y a eu aussi des investigations très importantes dans le domaine de la sélection des patients et dans les méthodes diagnostiques qui permettent de comprendre comment choisir la valve, quel type de valve utiliser etc. L’industrie de l’imagerie médicale a été complétement associée à cette innovation. Des méthodes de scanner se sont développées.

Des études randomisées sur des milliers de patients ont permis de confirmer et d’élargir les indications. Et ça n’est pas terminé. De nouvelles valves très originales et différentes de la valve initiale vont sortir cette année chez Edwards, par exemple. Une vingtaine de compagnies ont aussi développé ou sont en train d’évaluer des valves cardiaques implantables par cathétérisme cardiaque pour traiter le rétrécissement aortique, mais aussi d’autres valvulopathies telles que l’insuffisance mitrale, par exemple.

L’amélioration du fonctionnement des valves semble sans limite. Le progrès continue !

Invivox : Quelle est la place de la formation dans le TAVI ?

La formation à l’implantation des valves est très importante. En 1992, on a commencé à faire un « training program » à Rouen.  

On a formé plus de 2000 chirurgiens venant de tous pays. Nous avons innové, dans la formation cette fois, grâce à des simulateurs électroniques permettant de s’entrainer dans des conditions proches de la réalité.

 Puis, cette formation a été faite directement dans le centre de formation d’Edwards Lifesciences, en Suisse. Elle est obligatoire pour que le service soit autorisé à débuter des implantations chez l’homme. Une fois l’autorisation obtenue, il faut encore suivre un programme de « proctoring ». C’est-à-dire que des spécialistes, un peu comme moi qui ait passé mon temps à ça, viennent dans les services pour guider cardiologues interventionnels et les chirurgiens lors de la pose des premières valves. C’est un entrainement très strict et indispensable pour être un centre accrédité. L’autre valve concurrente de Medtronic, la CoreValve a suivi le même schéma : la formation est donc considérée comme essentielle par nous tous.

Invivox : Les résultats de l’étude « PARTNER 3 » viennent d’être dévoilés, quelle est votre réaction, vous, l’inventeur ?

C’est un événement crucial qui marque en quelque sorte, l’apothéose du TAVI.

C’est la première étude randomisée TAVI versus chirurgie, sur des patients à faible risque cardio-vasculaire : chez 1000 patients à faible risque cardio-vasculaire, recrutés par 71 centres, suivis pendant 1 an et avec contrôle annuel planifié pendant 10 ans. Les résultats de l’étude « PARTNER 3 » dont Edwards Lifesciences est promoteur, ont été présentés à l’American College of Cardiology (ACC.19 New Orleans Mars 2019) et publiés simultanément dans le New England Journal of Medicine mi-mars.

Ces résultats confirment la supériorité et l’efficacité du TAVI par rapport à la chirurgie classique. A la suite de cette étude, il va devenir possible dans un avenir proche, après validation par les différentes Autorités de Santé et les recommandations attendue des Sociétés Savantes, de proposer le TAVI aux patients sans risque chirurgical particulier en alternative à la chirurgie, ce qui augmentera considérablement le nombre de patients concernés. En moins de 20 ans, on est donc passé du patient mourant, au patient à haut risque, puis à risque intermédiaire et maintenant à bas risque. C’est la reconnaissance totale du TAVI. À Rouen, la procédure de TAVI réalisée par voie artérielle fémorale sous anesthésie locale, dans 92% des cas, prend 30 à 40 minutes. Les patients sortent en forme et dans plus de 70% avant le 3e jour, avec retour à domicile, sans nécessité de rééducation. Ceci constitue un avantage évidemment majeur par rapport à l’intervention chirurgicale classique.  

L’avenir est plutôt brillant. Avec l’étude « PARTNER 3 », on ne pouvait espérer meilleure reconnaissance de cette technique.

"Toujours persévérer, ne jamais se décourager, faire face à la critique, ce qui peut être parfois très difficile moralement ! Au bout du compte, on a des satisfactions inouïes. »"
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