L’Institut Universitaire de la Face et du Cou (IUFC), à Nice, regroupe des spécialistes qui se battent au quotidien auprès des patients porteurs de cancer ORL, notamment du larynx, en proposant systématiquement la pose d’une prothèse phonatoire pour ceux qui vont subir l’amputation de leur larynx. Parmi les pionniers dans cette réhabilitation, ils proposent annuellement une formation « deux en une » autour de deux thèmes, la réhabilitation du larynctomisé total et les techniques de médialisation dans la paralysie laryngée unilatérale. Cette masterclass, dont c’est la 16ème édition, a su évoluer au regard des améliorations techniques dans ces deux domaines et de la prise en charge de plus en plus multi professionnelle des patients. Le prochain rendez-vous a lieu les 19 et 20 septembre prochains au sein même de l’IUFC.
INVIVOX : Combien de laryngectomies totales réalisez-vous par an dans votre service ?
Dr Olivier DASSONVILLE : Au sein de l’IUFC, nous sommes 10 chirurgiens temps plein dont 4 dédiés à la chirurgie du cancer ORL et de la thyroïde. La chirurgie du cancer du larynx avec laryngectomie totale concerne 30 à 40 patients par an, à l’IUFC, atteints de tumeurs avancées ou récidivantes du larynx ou de l’hypo pharynx.
INVIVOX : Quelle est la fréquence du cancer du larynx en France?
Dr O. D. : Il se situe au 13ème rang des cancers masculins. Chez l’homme, le taux d’incidence a diminué de façon notable et cette tendance s'est accentuée au cours des dernières années. Cette diminution correspond à une réduction de 37 % du nombre de nouveaux cas.
Chez la femme, à l’inverse, le taux d’incidence augmente, en moyenne, de 1,1 % par an, avec une tendance au ralentissement. Dans 75 % des cas, l’âge de survenue se situe entre 50 et 74 ans, avec un âge moyen de diagnostic de 71 ans. La baisse chez l’homme s’explique par la lutte contre le tabagisme et, a contrario, l’augmentation chez la femme est due au fait qu’elles fument plus qu’autrefois. La France est au premier rang mondial de cancer de la région hypopharyngo-laryngée, ceci est à mettre en parallèle avec une surconsommation d’alcool et de tabac par la population française.
INVIVOX : Êtes-vous nombreux à être spécialisés en cancérologie ?
Dr O. D. : La chirurgie des cancers ORL en France s’est sensiblement centralisée autour de pôles de références, publics (CHU, CHG) ou privés (cliniques, ESPIC) disposant d’un plateau technique et humain relativement lourd. L’une des raisons à cela est la définition de seuils minimaux d’activité à présenter à l’ARS (plus de 30 interventions par an et par structure) pour pouvoir prétendre réaliser cette chirurgie exigeante (Plans Cancers). Après une longue période de désintérêt, il semble que cette chirurgie du cancer ORL retrouve un regain d’attractivité auprès des nouvelles générations d’internes ORL et en chirurgie maxillo-faciale, ceci malgré le côté lourd de cette pathologie , sur le plan physique et psychologique. Ces interventions peuvent être très longues et épuisantes sur le plan physique, il n’est pas rare de dépasser les 10 heures d’intervention. Ce regain d’intérêt pour la chirurgie du cancer ORL s’explique, à mon sens, par plusieurs raisons : la chirurgie d’exérèse tumorale est de moins en moins mutilante pour les patients, on s’est totalement approprié le principe « du moins invasif possible », notamment en utilisant l’abord par voie chirurgicale naturelle, trans oral. L’apport de nouveaux matériels est également très stimulant pour le chirurgien (robot chirurgical, LASER, techniques du ganglion sentinelle, etc.) mais, c’est surtout l’essor de la chirurgie réparatrice dans notre discipline qui attire de plus en plus les jeunes chirurgiens, par la formidable amélioration de la qualité de vie de nos patients à distance du traitement. Cette dernière fait appel à l’utilisation de très nombreux lambeaux extra céphaliques et nous impose ainsi, de sortir de notre secteur tête et cou pour assurer leur prélèvement. La revascularisation de ces lambeaux dits « libres » nous oblige également à une expertise importante en micro chirurgie vasculaire majorant ainsi encore la difficulté mais aussi, surtout, l’intérêt de notre domaine chirurgical.
INVIVOX : Pourquoi avoir décidé de mettre en place cette formation ?
Dr O. D. : Nous avons constaté qu’il y avait encore beaucoup d’écoles d’ORL en France qui ne proposaient pas de réhabilitation par prothèse aux laryngectomisés totaux. Nous sommes pour notre part convaincus que c’est une nécessité majeure et qu’il est difficile de proposer actuellement une laryngectomie totale sans envisager une réhabilitation vocale par implant phonatoire. Cette carence en réhabilitation vocale en France reste encore trop importante malgré tous les résultats favorables de la littérature et les nombreuses communications en congrès professionnels réalisées. Nous animons cette formation une fois par an, c’est la seizième édition, nous sommes 4 chirurgiens et une orthophoniste à co-diriger ce Cours : Brigitte Adrey, Dr Paul Giacchero, Dr Gilles Poissonnet, Pr Alexandre Bozec et moi-même.
INVIVOX : Cette intervention correspond à l'ablation totale du larynx et d'une partie de la muqueuse du tube digestif supérieur, quels sont les risques opératoires ?
Dr O. D. : Nous ne pouvons pas parler de risques mais plutôt de séquelles. L’intervention consiste au retrait de la totalité du larynx puis à la réfection d’un conduit alimentaire à partir de la muqueuse pharyngée préservée (le patient peut remanger par voies naturelles après cicatrisation d’environ 15 jours). Sur le plan technique, nous dérivons la trachée, après sa section sous le larynx, pour la suturer à la peau et, ainsi, réaliser un trachéostome. L’ablation du larynx implique la perte de la voix naturelle laryngée mais non de l’alimentation par voie naturelle. Pour pallier ce manque vocal complet et définitif, la réhabilitation par prothèse phonatoire consiste à permettre au patient de faire vibrer volontairement sa muqueuse pharyngée restante (son nouveau tube digestif cervical) et de « dompter » ces vibrations pour en tirer des sons puis une vocalisation compréhensible. Techniquement, nous plaçons un petit cylindre en silicone, bio compatible, auto rétentif, entre la face postérieure de la trachée et l’œsophage, en arrière. Ce dispositif doit pouvoir laisser passer l’air de la trachée vers l’œsophage mais, il doit être parfaitement continent dans le sens œsophage vers la trachée pour éviter les fausses routes alimentaires et salivaires vers les poumons.
INVIVOX : Y-a-t-il des avancées ?
Dr O. D. : Sur les techniques opératoires, nous n’avons pas d’avancée notoire à partager, les progrès reposent surtout sur les prothèses phonatoires elles-mêmes. Les différences de qualité entre les différentes marques existantes reposent sur la qualité et la facilité de vocalisation, la fiabilité de leur valve anti reflux (fausses routes), la facilité de leur mise en place et de leur changement, et leur durée de vie. Quand les suites opératoires sont simples, sans trouble de la cicatrisation et sans fistule, les patients remangent et commencent à utiliser leur prothèse phonatoire. Les premiers résultats vocaux précoces sont souvent spectaculaires, le timbre vocal est étonnamment proche de la voix laryngée du patient, les accents régionaux sont retrouvés quasi inchangés. Une prothèse doit être changée tous les 3 à 4 mois sous anesthésie locale, elle s’use et se recouvre de candidas albicans.
INVIVOX : Quelle est la place des traitements non chirurgicaux des cancers du larynx en 2019 ?
Dr O. D. : La place de la chimiothérapie, des thérapies ciblées et de la radiothérapie est fondamentale dans la stratégie thérapeutique du cancer du larynx. Ainsi, toute une partie des cancers du larynx, même avancés, ne sont pas opérés : les patients entrent ainsi dans des protocoles de préservation laryngée : nous utilisons la chimiothérapie et la radiothérapie pour traiter le cancer mais sans avoir besoin de retirer le larynx, ceci, sans compromettre en aucune manière la chance de guérir leur cancer. Malheureusement, cette stratégie conservatrice ne peut s’adresser à tous les cancers laryngés et, ceux-là, devront en passer par la laryngectomie totale.
INVIVOX : Quelles sont les différentes techniques actuelles ?
Dr O. D. : En matière de réhabilitation vocale, il y a classiquement l’acquisition de la voix œsophagienne : les orthophonistes apprennent aux patients l’éructation volontaire et sa maîtrise pour la vocalisation. Malheureusement, les échecs sont très nombreux (60 %) et la voix de mauvaise qualité.
INVIVOX : Quelles techniques allez-vous présenter ?
Dr O. D. : Nous présentons les techniques de référence dans les deux thématiques. L’intérêt de ce Cours est que nous avons une trentaine d’années d’expérience dans ces domaines et, surtout, que nous montrons une approche multi disciplinaire et multi professionnelle de ces patients, condition, à mon sens, primordiale pour le succès de ces réhabilitations.
INVIVOX : Quels implants allez-vous présenter ?
Dr O. D. : Lors de la présentation de l’historique de la réhabilitation vocale, le Dr Giacchero décrit tous les implants qui ont existé et qui existent encore pour certains. Par la suite, nous apportons notre expérience pratique de la prothèse Provox et de tous ses produits annexes .
INVIVOX : Quels messages faites-vous passer pendant ces 3 demi-journées ?
Dr O. D. : Nous abordons surtout les avantages/inconvénients et complications des prothèses phonatoires. Lors de la première demi-journée, il y a tout un chapitre dans lequel nous traitons de la gestion des complications. Savoir poser une prothèse, c’est facile, mais savoir gérer ses complications, c’est tout aussi important, voire majeur. Proposer une prothèse phonatoire présente également un bénéfice indirect : souvent cela amène l’acceptation de la laryngectomie totale par le patient et son entourage; perdre son larynx, perdre sa voix naturelle peut être parfois rédhibitoire. Quand nous expliquons au patient que grâce à la prothèse, il va pouvoir très certainement reparler, il accepte plus facilement le traitement salvateur de son cancer. Rappelons que le patient opéré est atteint de tumeur particulièrement sévère et que la laryngectomie est, certes mutilante, mais surtout, souvent salvatrice : son pronostic vital redevient bon après l’intervention.
INVIVOX : Pourquoi certaines équipes rechignent-elles à proposer la prothèse phonatoire à leurs patients ?
Dr O. D. : Il s’agit d’une méthode de réhabilitation vocale non anodine. Nous mettons en place un corps étranger dans une « zone sensible » entre trachée et œsophage, chez des patients souvent fragiles sur le plan pulmonaire et, chez qui, les fausses routes trachéales pourraient être délétères. Nous pouvons comprendre ces réticences. Un autre frein au développement généralisé de cette méthode réside dans le fait qu’elle exige de l’équipe, une disponibilité totale et permanente pour répondre et gérer toutes les complications qui peuvent émailler la vie d’un laryngectomisé porteur de prothèse phonatoire. C’est une activité très chronophage.
"« Un de mes patients qui m’a le plus marqué avait alors 40 ans quand on lui a diagnostiqué un chondrosarcome laryngé dont le seul traitement possible était une laryngectomie totale ; sa fille avait 4 ans à l’époque. Initialement, il ne voulait pas subir cette mutilation laryngée. Après de longs entretiens avec tous les acteurs de santé concernés et présentation des possibilités de réhabilitation vocale par prothèse, il a fini par accepter le geste opératoire qui lui a sauvé la vie. Nous sommes à 14 ans de l’intervention. La réhabilitation a tellement bien fonctionné chez lui, et il a si bien intégré sa nouvelle physiologie et anatomie cervicale, qu’il nous assure régulièrement : « j’en ai même oublié parfois que j’ai été opéré.»"
INVIVOX : Vous allez montrer vos trucs et astuces ?
Dr O. D. : Dans la vie d’une prothèse, les incidents, les complications sont nombreux mais il existe des astuces pour les éviter ou les gérer. Nous les développons lors du Cours. Par exemple, la complication qui embête le plus patient et le praticien est la fuite autour de la prothèse phonatoire. Il faut l’imaginer comme un petit tunnel cylindrique entre le pharynx et la trachée. Normalement, tout est étanche, il n’y a pas de salive, ni aliment, ni liquide, qui peuvent passer du pharynx vers la trachée. Mais, de temps en temps, le patient se plaint de fuites soit autour de la prothèse, soit dans la prothèse elle-même qui devient incontinente. Il est dans ce cas important de savoir réagir rapidement en fonction de la fuite, de son importance, de l’épaisseur des tissus, il existe différents procédés de correction. Cela peut aller jusqu’à une reprise chirurgicale avec la mise en place d’un lambeau si les injections de produit de comblement autour de la prothèse se sont soldées par un échec. Il est fondamental de savoir gérer ces complications sinon, rapidement la technique sera abandonnée.
INVIVOX : À quel public vous adressez-vous ?
Dr O. D. : Les chirurgiens de la Face et du Cou qui prennent en charge les cancers ORL (sur 10 ORL seul 1 prend en charge les cancers) mais aussi, les orthophonistes, les infirmières de cancérologie (infirmières de coordination de soins ORL). C’est une réunion multi-professionnelle, ce qui en fait aussi, son intérêt et son originalité.
"« Il faut que les chirurgiens ORL mettent en place des prothèses phonatoires laryngectomisés. Nous pouvons dédramatiser cette mutilation laryngée. Grâce aux prothèses, les patients ont de grandes chances de recouvrer une voix tout à fait acceptable.»"
INVIVOX : Chirurgiens débutants, confirmés ?
Dr O. D. : En général, les chirurgiens qui assistent au Cours ont fini leur formation. Ils sont souvent hospitaliers. Concernant les orthophonistes présents et les infirmières ORL, toutes les générations sont intéressées.
INVIVOX : Comment organisez-vous cette formation ? Comment se passent les démonstrations pratiques ?
Dr O. D. : La formation a lieu dans l’amphithéâtre des Arènes au sein de l’Institut Universitaire de la Face et du Cou (IUFC) avec retransmission en direct du bloc opératoire. La première demi-journée est consacrée aux exposés théoriques par les chirurgiens, les orthophonistes et l’infirmière de coordination de soins de l’IUFC. Nous rappelons alors l’anatomie, la physiologie du sujet normal et du laryngectomisé, les principales conséquences de la mutilation laryngée. Nous allons ensuite présenter la place de la chirurgie dans la prise en charge du cancer du larynx, en abordant la chimiothérapie, la radiothérapie, les techniques de chirurgies laryngée partielles (LASER, voie externe). Nous expliquons pourquoi certains patients doivent subir cette amputation pour traiter leur cancer. Nous nous appuyons sur une filmographie large et précise. Ensuite, nous détaillons la mise en place des implants phonatoires avec deux techniques différentes : l’une en primaire, quand nous mettons l’implant lors de la laryngectomie totale ou secondaire, distance de la laryngectomie totale initiale. Nous présentons aussi la technique de changement de l’implant phonatoire sous locale. Nous parlons de la prothèse avec ses avantages et inconvénients, de tous les accidents et autres difficultés envisageables. Nous montrons avec les orthophonistes, les techniques de rééducation et les résultats vocaux et acoustiques obtenus avec les prothèses phonatoires : cas cliniques, résultats vocaux à moyen et long terme. Avec les prothèses, nous arrivons à obtenir quasiment une voix laryngée normale.
La deuxième partie du cours est axée sur les techniques de médialisation laryngée dont le public intéressé est le même que pour le cancer du larynx. La paralysie laryngée est fréquente et intervient parfois après, une chirurgie du cancer du poumon. Cette paralysie donne des troubles majeurs de la voix, de la déglutition. Nous passons en revue toutes les techniques de correction, par voie externe avec la prothèse de Montgomery et par voie naturelle avec injection de produit de remplissage, qui sont des méthodes de médialisation de la corde vocale paralysée. Nous exposons de nombreux résultats obtenus après chirurgie et orthophonie.
La deuxième demi-journée est consacrée à la retransmission de la chirurgie en direct sur 2 salles opératoires intéressant la mise en place de la prothèse en technique primaire lors d’une laryngectomie totale, une retransmission d’une mise place secondaire d’une prothèse phonatoire, et enfin , la mise en place d’un implant de Montgomery sous anesthésie locale, pour une paralysie laryngée.
La dernière demi-journée est dédiée aux sessions ateliers pratiques en présence de patients laryngectomisés équipés d’une prothèse phonatoire, des chirurgiens, des orthophonistes, des infirmières de coordination. Nous manipulons tous les accessoires nécessaires à l’entretien des prothèses (nettoyage, valve automatique, etc.). Cette partie est extrêmement interactive, fondée sur le retour d’expérience de nos patients. Parallèlement à ce module, les instructeurs en profitent pour réaliser des changements de prothèse phonatoire.
INVIVOX : Quelle est la partie la plus populaire ?
Dr O. D. : La chirurgie live est très appréciée car elle est faite dans d’excellentes conditions, en HD, mais le contact avec les patients laryngectomisés est particulièrement prisé et motive à poser des prothèses.
INVIVOX : Quels bénéfices vont tirer les participants ?
Dr O. D. : Ils vont acquérir des techniques de mise en place d’implant phonatoire et de correction de paralysie laryngée, avoir une approche multi-professionnelle dans la prise en charge du patient laryngectomisé total, savoir gérer les incidents inhérents à la prothèse phonatoire pour perpétuer la technique, s’entretenir en direct avec le patient laryngectomisé et les différents acteurs de sa prise en charge. Le patient laryngectomisé devient un patient chronique par la suite. Nous les suivons sur le long terme d’où la richesse de la relation qui s’établit contrairement à d’autres cancers où les patients retrouvent leur autonomie à vie.
INVIVOX : Que vont-ils pouvoir faire concrètement en sortant de votre formation ?
Dr O. D. : Les participants sortiront convaincus de la méthode, armés sur le plan théorique et sur les techniques de mise en place,opérationnels dans la gestion des accessoires et dans la prise en charge globale de leur patient.Le but est de convaincre chacun de s’entourer d’une véritable équipe composée d’orthophonistes, d’infirmières de coordination : condition nécessaire pour le succès de cette prise en charge.
"« En 2019, envisager une laryngectomie totale sans proposer une réhabilitation par implant phonatoire quand elle est réalisable techniquement est impensable.»"
INVIVOX : Quels sont vos futurs projets de formation?
Dr O. D. : Des masterclass dédiées à la chirurgie de la thyroïde, des cancers cutanés au niveau cervico-facial (prévue en 2020 et co-animée par le Dr Gilles Poissonnet et le Dr Culié).