INVIVOX : Qu’est-ce que l’occlusodontologie neuromusculaire ?
Dr Jean-Claude Combadazou : C’est la relation orthopédique craniomandibulaire permettant une contraction synchrone et suffisante des muscles manducateurs. La dysocclusion est définie comme une anomalie dans la prise de contact des surfaces occlusales, retentissant sur la contraction des muscles élévateurs et donc l’ancrage (de la mandibule au crâne). La 1ère conséquence de la dysocclusion est une contraction anormale des masséters, soit par insuffisance de recrutement des unités motrices, soit par un asynchronisme du recrutement des unités motrices, soit les deux.
INVIVOX : Quel est le rôle de l’occlusodontologie neuromusculaire ?
Dr Jean-Claude Combadazou : Quand j’ai introduit l’occlusodontologie neuromusculaire en France, j’ai eu, de par mon expérience (doctorat de 3e cycle et attaché hospitalier dans le service de chirurgie maxillo-faciale au CHU de Toulouse), une approche médicale et chirurgicale. Les muscles, jouent un rôle important, alors que nous dentistes, nous sommes plutôt des mécaniciens dans l’âme. Nous faisons des implants, des prothèses reposant sur la précision. En occlusodontologie neuromusculaire, la connotation est plus physiologique et musculaire ; c’est sans doute pour cette raison que cette discipline s’est bien développée dans le service maxillo-facial du CHU de Toulouse. À l’époque, il y avait une guerre d’école entre la chirurgie maxillo-faciale et la dentisterie. Quand j’ai quitté l’hôpital, je suis allé à la rencontre des ostéopathes, des médecins du sport et j’ai continué à observer le rôle de l’occlusion ou de la mal-occlusion ou de la dysocclusion dans les problèmes posturaux. L’occlusion est au centre de beaucoup de choses, ce que nous ignorions jusqu’à maintenant.
INVIVOX : Pourquoi est-ce efficace ?
Dr Jean-Claude Combadazou : Le dentiste, en fait, va faire des « semelles adaptées dans la bouche » qui permettent de repositionner la mâchoire dans une relation inter-arcades physiologique.
Aujourd’hui, nous parlons beaucoup d’implantologie. Nous ne dévitalisons plus les dents quand nous faisons des prothèses qui durent plus longtemps et sans attaquer l’organe dentaire. D’ici 15 ans, les chirurgiens ne feront de l’implantologie que dans des cas très particuliers : agénésie de dents, choc à la mâchoire, traumatisme etc. Dans les 10 années à venir, les spécialités qui fonctionneront bien seront : l’esthétique, l’orthodontie, la parodontie médicale et l’occlusodontie qui permettra de régler certains problèmes. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de sportifs qui vont de plus en plus chez l’ostéopathe, et donc ils viendront obligatoirement à l’occlusodontie. À mon avis, c’est le futur de la dentisterie.
INVIVOX : Vous êtes l’un des grands spécialistes français de l’occlusodontologie neuromusculaire, comment avez-vous découvert cette spécialité ?
Dr Jean-Claude Combadazou : Dès le début de mon exercice, j’ai pris le virus grâce à la rencontre avec un de mes confrères qui faisait de l’occlusodontologie traditionnelle c’est-à-dire assez mécanique. Cette approche ne me satisfaisait pas pleinement donc je suis parti aux États-Unis où j’ai rencontré le Pr Bernard Jankelson(*) auprès duquel j’ai eu la chance de faire des stages. En 1983, j’ai fait l’acquisition de ma première machine, de là j’ai commencé à pratiquer de retour en France.
INVIVOX : À quand remontent les débuts de l’occlusodontologie neuromusculaire ?
Dr Jean-Claude Combadazou : L’occlusodontologie neuromusculaire est une des écoles de l’occlusodontie. Les premières discussions sur l’occlusodontie datent de 1920. L’occlusodontologie neuromusculaire est plus récente et peu répandue, du moins en France. Certains pays sont à la pointe comme les Etats-Unis, le Japon où la technique est enseignée dans toutes les universités. Le Pr Bernard Jankelson, de Seattle, qui a mis au point de nombreuses machines, a beaucoup œuvré dans le développement de cette technique dans les années 70. Progressivement, les machines ont été introduites dans les cabinets du fait de la réduction de la taille des machines. De là, la technique a pu prendre son essor dans les années 80.
« Des dentistes qui ne font exclusivement que de l’occlusodontologie neuromusculaire, nous serions moins de dix en France. »
INVIVOX : Quelle est la prévalence en France des maladies occlusales ?
Dr Jean-Claude Combadazou : Difficile de répondre. En 1979, un article disait que 40 millions des américains souffraient d’un syndrome de dysfonctionnement au niveau de la mâchoire (SADAM). En France, c’est compliqué à évaluer. Nous ne pouvons pas encore établir de données à partir du moment où nous avons déjà du mal à prouver un lien entre des douleurs aux cervicales et les dents. Si nous prenons le bruxisme par exemple, ça n’est pas parce qu’on a des dents usées que l’on grince des dents. Le patient peut avoir des dents usées car il positionne mal la mandibule par rapport aux maxillaires et use ses incisives. Par conséquent, ma question au patient soupçonné de bruxisme est : « Qui vous a dit que vous grinciez des dents ? Est-ce votre dentiste ou votre époux/se ? » Si le patient répond que son époux/se ne lui a jamais dit qu’il grinçait des dents, c’est qu’il y a peu de chance que ce soit du bruxisme.
INVIVOX : Pouvez-vous nous décrire le parcours du patient ?
Dr Jean-Claude Combadazou : Le patient est souvent adressé au spécialiste en occlusodontologie neuromusculaire par un ostéopathe, un médecin du sport, un kinésithérapeute, un ORL etc. Prenons un exemple : un patient a eu un accident. Il souffre de douleurs musculaires et va voir son ostéopathe qui le soulage. Il va mieux mais 15 jours plus tard, les douleurs reviennent. La question se pose de savoir s’il n’y a pas d’autres capteurs posturaux qui perturbent la correction faite par l’ostéopathe. C’est à ce moment-là qu’il va falloir rechercher entre le pied, l’œil, les dents ; ce sont généralement ces trois capteurs qui jouent un rôle important. Il va falloir déterminer quel est celui qui impacte le plus la problématique. L’examen clinique permet, dans un premier temps, d’apporter de nombreuses informations et d’indices qui vont orienter le dentiste : Est-ce que les douleurs viennent d’un problème occlusal ou autre ? Si le problème se révèle être occlusal, le but est d’améliorer le diagnostic avec l’électromyograhie de surface qui est très utilisée en médecine de rééducation fonctionnelle, en enregistrant les mouvements de la mâchoire à partir d’un OCD (par déplacement d’un aimant collé aux incisives qui dégage un champ magnétique qui permet d’enregistrer tous les mouvements en fonction du champ magnétique). Il va falloir analyser la position du patient, la position de sa mâchoire grâce à des petites semelles que l’on installe dans la bouche. Puis nous observons s’il y a une amélioration. L’amélioration intervient dans les trois quarts du temps, le patient partira alors vers l’esthétique. Le dentiste qui s’occupera de restaurer les dents va pouvoir le faire dans une position correcte ce qui aura pour avantage d’améliorer la durée de vie des prothèses réalisées. Ce sera donc fonctionnel avec moins de douleurs pour le patient. Si d’autres capteurs ne vont pas, nous régleront ces capteurs et quand tout sera fonctionnel nous passerons à l’étape suivante qui est l’esthétique. Ces analyses permettent de confirmer le diagnostic clinique et d’amener des solutions thérapeutiques. Si le problème est visuel, par exemple un muscle qui est très excité en fixant un point et qui redevient normal quand il ne fixe plus, le patient consultera l’ophtalmologue ou fera de la rééducation etc. Nous aiguillons le patient selon le capteur défaillant en déterminant la posture et recommandons au patient de consulter le spécialiste adéquate.
INVIVOX : Qu’est-ce que l’occlusodontologie permet de traiter ?
Dr Jean-Claude Combadazou : Maux de tête, douleur musculaire, douleur auriculaire etc. Les médecins du sport, par exemple, nous envoient des patients qui souffrent du talon d’Achille. Ces derniers connaissent leur médecin et lui font confiance. Il est vrai qu’ils sont assez surpris d’aller chez le dentiste pour un talon d’Achille ! Bien entendu, les douleurs au talon ne sont pas toutes liées à un problème à la mâchoire ! Dans certains cas, nous arrivons à améliorer la posture du patient et donc les symptômes. Les résultats se font sentir rapidement et peuvent être assez spectaculaires et surtout durables. À partir du moment où le médecin ne trouve pas l’origine de la douleur, qu’après des batteries d’examens tout est normal, l’occlusodontologie neuromusculaire fait partie des pistes intéressantes à explorer.
« J’ai environ 500 correspondants dans différentes spécialités qui m’adressent leurs patients. »
INVIVOX : L’occlusodontologie neuromusculaire ouvre-t-elle des perspectives aux patients atteint de fibromyalgie ?
Dr Jean-Claude Combadazou : Tous les jours, je reçois des patients qui me consultent avec l’étiquette « fibromyalgie ». Les trois quarts du temps, je leur trouve un problème aux pieds, à l’œil ou à la mâchoire. Forts de ce bilan, nous ne pourrons parler de véritable fibromyalgie chez ce patient qu’à partir du moment où le capteur suspecté sera traité. Et si par le traitement du capteur, le problème est réglé, c’est qu’il ne s’agit pas d’une fibromyalgie. Quand un patient est en situation d’errance médical, il n’est pas rare qu’il soit étiqueté sous des pathologies comme la fibromyalgie, la névralgie d’Arnold alors que souvent c’est finalement lié à des problèmes de mâchoires. Il y a bien évidemment aussi de vrais cas.
INVIVOX : Quels sont les freins en développement de cette discipline ?
Dr Jean-Claude Combadazou : L’enseignement à la faculté dentaire est largement insuffisant alors que l’occlusodontologie est à la confluence de tout. Les dentistes qui font de l’orthodontie, de la prothèse font de l’occlusion. L’autre frein est le manque de littérature et de publication aussi bien scientifique que grand public.
INVIVOX : Comment voyez-vous l’évolution de l’occlusodontologie neuromusculaire ?
Dr Jean-Claude Combadazou : En tant qu’adjoint d’enseignement à la Faculté Dentaire de Toulouse, et qu’un des responsables du diplôme universitaire d’occlusodontie de l’Académie Esthétique et Fonction, je peux dire que la discipline va d’ores et déjà se développer plus rapidement. Nous avons fait l’acquisition de nombreux appareils qui vont permettre de former nos confrères. L’aval académique des universités, le développement de formations appuyées par des publications vont changer le regard porté sur cette discipline encore méconnue.
INVIVOX : Avez-vous une anecdote à partager ?
Dr Jean-Claude Combadazou : J’ai reçu une patiente assez âgée. Je lui détecte un problème occlusal et par la suite elle est traitée par le bon spécialiste. Quand elle est revenue me voir en contrôle elle m’a dit : « vous vous rendez compte, ça faisait 30 ans que j’avais mal à la tête et depuis que vous m’avez mis ces 2 petites cales sur les dents, mes maux de têtes ont disparu. J’ai perdu 30 ans de ma vie ».
Publications :
(*) Jankelson RR. Neuromuscular dental diagnosis and treatment. St. Louis: Ishiyaku EuroAmerica; 1990. 687 p.)
Combadazou JC, Combelles R, Cadenat H.
Rev Stomatol Chir Maxillofac. 1990;91(2):86-91. French.
Esclassan R, Rumerio A, Monsarrat P, Combadazou JC, Champion J, Destruhaut F, Ghrenassia C.
Cranio. 2017 May;35(3):175-179. doi: 10.1080/08869634.2016.1171479. Epub 2016 Apr 8
Combadazou JC.
Actual Odontostomatol (Paris). 1988 Sep;(163):627-53. French